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La rationalisation énergétique en Tunisie : D’une contrainte budgétaire à un levier de compétitivité nationale

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  • 28 décembre 17:15
  • 7 min de lecture
La rationalisation énergétique en Tunisie : D’une contrainte budgétaire à un levier de compétitivité nationale

La Tunisie consomme toujours plus d’énergie qu’elle ne produit, dépend fortement des importations et fait face à des coûts croissants pour les ménages et les entreprises.

La rationalisation énergétique n’est plus une option : elle devient un levier stratégique pour la compétitivité nationale et la résilience économique.

La Presse — À la fin de l’année 2025, la Tunisie fait face à une réalité lourde de sens : son taux d’indépendance énergétique, qui mesure dans quelle proportion le pays peut satisfaire ses besoins avec ses propres ressources, est retombé autour de 35%, contre 41% un an plus tôt. Sans les revenus tirés du transit de gaz algérien, ce taux chute encore à 27%, ce qui signifie que près de trois quarts de l’énergie consommée doivent être importés ou compensés par des contributions externes.

Ces chiffres, publiés par l’Observatoire national de l’énergie et des mines, reflètent une dépendance énergétique structurelle qui pèse sur l’économie nationale et menace à la fois les finances publiques et la compétitivité des entreprises tunisiennes.

Sur le terrain, cette situation se ressent dans les factures des entreprises, dans les contraintes budgétaires de l’État, mais aussi dans le quotidien des familles. Quand l’énergie devient rare ou coûteuse, ce sont les citoyens et les petites entreprises qui ressentent en premier les effets des restrictions et de la volatilité des prix internationaux. Dans un pays où l’industrie, le bâtiment et les transports absorbent une part importante de la demande énergétique, l’inefficacité et les pertes se traduisent directement par des coûts supplémentaires qui grèvent la compétitivité économique.

Un déficit énergétique qui se creuse et des renouvelables encore timides

Parlons chiffres, en 2025, le déficit énergétique a continué de se creuser : il a atteint 5,3 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep) à fin octobre, soit une progression de 16 % par rapport à la même période de 2024. Cette aggravation, qui intègre les recettes issues du transit du gaz algérien, illustre une baisse importante de la production nationale de pétrole et de gaz.

Ce qui est frappant, c’est que malgré les ambitions proclamées, la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique tunisien reste très faible : autour de 2 à 3% des ressources primaires, selon plusieurs bilans récents.

Cette faiblesse s’explique en partie par le fait que les capacités installées dans le solaire, l’éolien ou d’autres sources propres restent limitées et ne suffisent pas encore à compenser l’effondrement de la production d’hydrocarbures. Pourtant, le gouvernement tunisien s’est fixé des objectifs ambitieux pour les années à venir : atteindre 35% d’énergies renouvelables dans la production électrique d’ici à 2030, ce qui impliquerait de développer plusieurs milliers de mégawatts supplémentaires à travers de vastes projets solaires et éoliens.

Face à ce contexte, la rationalisation de la consommation n’est plus simplement une injonction environnementale ou une mesure conjoncturelle : elle devient un impératif économique stratégique. Il s’agit de transformer ce qui est souvent perçu comme une contrainte budgétaire en un levier de croissance et de compétitivité nationale.

Loin d’être une abstraction, cette rationalisation se traduit par des actions concrètes : optimisation des procédés industriels, réduction des pertes dans les réseaux de distribution, rénovation énergétique des bâtiments publics et privés, et investissement dans des technologies moins gourmandes en énergie. Au cœur de cette transition, ce sont les entreprises tunisiennes, des PME locales aux grands groupes industriels, qui sont appelées à repenser leurs modes de production. L’énergie, autrefois considérée comme un simple poste de dépense, devient un facteur clé de compétitivité, capable de réduire les coûts, d’améliorer les marges et d’ouvrir de nouvelles opportunités d’innovation.

Pour les dirigeants tunisiens, il n’est plus question de choisir entre croissance et sobriété énergétique : la seconde est désormais une condition de la première. D’autant que des programmes de financement, notamment grâce à des partenariats internationaux, commencent à voir le jour pour soutenir les efforts de modernisation du secteur énergétique tunisien, encourager l’efficacité et attirer l’investissement privé.

Les citoyens au cœur de la transition énergétique

Certes, l’État tunisien joue un rôle crucial dans cette transformation. Plutôt que de simplement imposer des restrictions, il s’agit de construire un cadre réglementaire incitatif, susceptible d’attirer des investissements privés et de soutenir les acteurs économiques dans leurs efforts d’efficacité énergétique. Cela passe par des mesures fiscales, des subventions ciblées pour les technologies propres, des appels d’offres transparents pour des projets renouvelables, et des partenariats public‑privé durables pour moderniser les infrastructures.

Les autorités ont déjà commencé à élaborer des stratégies nationales pour encourager la transition énergétique globale, intégrant des objectifs ambitieux de réduction de la consommation d’énergie et d’intégration accrue des renouvelables. Le succès de ces politiques dépendra cependant de leur mise en œuvre concrète, de la capacité à mobiliser les acteurs économiques et de la confiance que les citoyens et les entreprises accorderont à ces initiatives.

Mais si la rationalisation énergétique se joue au niveau macroéconomique, elle se vit aussi au quotidien dans les foyers tunisiens. Chaque geste compte : des habitudes de consommation plus responsables, le choix d’appareils performants, l’adoption de modes de transport moins énergivores. Pourtant, pour beaucoup, cette transition reste abstraite et l’impact individuel difficile à mesurer.

C’est ici que la dimension humaine de l’énergie prend tout son sens : il ne s’agit pas seulement de chiffres ou de scores d’indépendance énergétique, mais aussi d’inventer des modes de vie qui réduisent la vulnérabilité des familles aux chocs externes. L’éducation, les campagnes de sensibilisation et des incitations concrètes (comme des aides pour l’isolation des logements ou l’achat d’équipements à haute efficacité) sont essentielles pour que cette transition soit vécue comme un projet collectif, incarné dans les habitudes quotidiennes et non comme une contrainte technique imposée d’en haut.

A cet égard, au-delà des contraintes budgétaires évidentes que représentent les importations massives d’énergie et les subventions publiques, la rationalisation énergétique est devenue un enjeu de souveraineté nationale, de compétitivité des entreprises et de qualité de vie pour les citoyens. En transformant une difficulté structurelle en opportunité d’innovation, la Tunisie peut non seulement réduire sa dépendance, mais aussi se positionner comme un acteur dynamique de la transition énergétique dans la région.

Le message est donc clair : la rationalisation de la consommation énergétique n’est pas un recul du confort ou de la croissance, mais un investissement stratégique pour la résilience économique et sociale du pays. Et en fin de compte, c’est la capacité collective à repenser nos usages, nos technologies et nos politiques qui déterminera si cette transition devient une réussite partagée.

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Auteur

Meriem KHDIMALLAH