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Economie

Tribune – L’octroi d’un avantage fiscal est une chose, son effectivité en est une autre

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  • 28 décembre 11:21
  • 6 min de lecture
Tribune – L’octroi d’un avantage fiscal est une chose, son effectivité en est une autre

Par Skander SALLEMI
(Conseiller fiscal)

Faire profiter les citoyens et les entreprises d’un avantage fiscal ou d’une facilité administrative est généralement largement applaudi lors de sa promulgation. Certaines dispositions adoptées font l’objet d’une valorisation continue par leurs initiateurs ; elles sont parfois même mises en avant, dans les discours officiels et internationaux, comme des signes de modernisation ou des leviers de compétitivité.

Mais le passage du texte à la pratique renvoie souvent à une réalité bien différente. L’accès effectif à ces facilités et avantages révèle des obstacles administratifs, des interprétations restrictives, voire des conditions non prévues par la loi. Cette réalité, rarement documentée, mérite pourtant d’être racontée avec attention et précision.

L’enregistrement au droit fixe au profit des TRE et des étrangers : un avantage théorique

Les Tunisiens résidant à l’étranger (TRE), ainsi que les étrangers qui acquièrent un bien immobilier à usage d’habitation ou professionnel payé en devises, peuvent bénéficier de l’enregistrement des actes d’acquisition au droit fixe, au lieu du droit proportionnel de 5 %. Cet avantage est expressément prévu par l’article 23 du Code des droits d’enregistrement et de timbre.

Les conditions légales sont pourtant claires et limitées :

– Justifier de la résidence à l’étranger ;

– Prouver le paiement en devise convertible ou en dinars convertibles.

Le texte ne désigne aucune administration spécifique chargée de l’octroi de cet avantage. La doctrine administrative renvoie, en pratique, à la Trésorerie régionale.

Or, au moment de solliciter le bénéfice de cet avantage, de nombreux contribuables découvrent l’existence de conditions supplémentaires, issues de notes internes, de correspondances administratives ou d’échanges entre la Banque centrale de Tunisie et l’administration fiscale. Il en résulte des délais injustifiés, une absence de réponse, des exigences non prévues par la loi, voire des refus implicites fondés sur des motifs extralégaux.

Entre l’avantage consacré par la loi et l’accès réel à celui-ci, le contribuable se heurte ainsi à une réalité administrative décevante, marquée par l’insécurité juridique et l’arbitraire. 

La cessation d’activité : une procédure sans délais ni garanties

La situation est tout aussi révélatrice en matière de cessation d’activité. Les contribuables titulaires d’un identifiant fiscal qui décident de mettre fin à leur activité sont tenus de déposer une demande de cessation et d’indiquer une adresse de contact. En principe, il s’agit d’une formalité administrative classique.

En pratique, cette procédure devient souvent interminable. La loi ne prévoit aucun délai de réponse, laissant à l’administration une marge discrétionnaire excessive. Les agents peuvent multiplier les prétextes, exiger des documents supplémentaires et retarder indéfiniment la clôture du dossier fiscal.

La procédure souffre, en outre, d’un manque total de transparence :

– Absence de documents officiels accessibles aux contribuables précisant la liste des pièces à fournir ;

– Absence de délais clairs ;

– Impossibilité pour le contribuable de contester les retards ou les refus non motivés.

Plus préoccupant encore, l’annexe relative à la mission des finances, présentée avec la loi de finances 2026, évoque des délais calculés à partir de l’enregistrement des demandes sur le système informatique de l’administration. Or, cette étape échappe totalement au contrôle du contribuable : l’enregistrement de la demande demeure tributaire de la volonté de l’agent chargé de la réception et de l’examen du dossier.

Dans de nombreux cas, cette situation conduit à l’abandon pur et simple des démarches par les contribuables, transformant une obligation légale en un parcours dissuasif.

La restitution des crédits d’impôt : un droit vidé de sa substance

Les restrictions croissantes apportées au bénéfice des attestations d’achat en suspension de TVA, combinées à l’augmentation des taux de retenue à la source et des avances sur les importations, ont mécaniquement multiplié les demandes de restitution de crédits d’impôt.

Or, ces aménagements ont été introduits sans que l’administration fiscale ne dispose des ressources humaines nécessaires pour en assurer le traitement. Le déficit d’effectifs, déjà structurel, ne cesse de se creuser, compromettant gravement la capacité de l’administration à examiner les demandes dans des délais raisonnables.

En pratique, l’administration fiscale n’arrive plus à respecter les délais légaux. Les entreprises se retrouvent dans l’attente pendant des périodes excessivement longues, avec des impacts directs sur leur trésorerie et leur continuité d’exploitation. Aucune mesure structurelle n’a été mise en place pour atténuer cette situation, notamment par une restitution effective et prévisible des crédits d’impôt.

Cette réalité met en évidence un déséquilibre flagrant du système fiscal : les obligations pesant sur le contribuable sont immédiatement exigibles, tandis que les droits qui lui sont reconnus demeurent sans effectivité réelle. L’absence de procédures contraignantes et de mécanismes de responsabilité laisse l’administration indifférente aux conséquences économiques et financières supportées par les contribuables.

Du droit proclamé au droit effectif : un impératif de réforme

Les situations évoquées — qu’il s’agisse de l’accès au droit fixe pour les Tunisiens résidant à l’étranger et les étrangers, de la procédure de cessation d’activité ou de la restitution des crédits d’impôt — traduisent une même réalité : le problème du système fiscal ne réside pas uniquement dans le contenu des textes, mais dans l’écart croissant entre le droit proclamé et le droit effectivement applicable.

Un avantage fiscal qui ne peut être exercé, un droit reconnu sans garanties procédurales ou une créance fiscale restituée sans délai prévisible finissent par vider la norme de sa substance et par fragiliser la confiance des citoyens et des entreprises dans l’administration fiscale.

Lorsque l’exécution de la loi devient tributaire de pratiques internes, de notes non publiées ou de la seule volonté de l’agent, le principe de légalité s’en trouve affaibli et l’insécurité juridique s’installe durablement.

Réconcilier le contribuable avec l’impôt suppose un changement de paradigme : passer d’un système fondé sur la suspicion et la contrainte à un système fondé sur la prévisibilité, la transparence et la responsabilité administrative. Sans procédures claires, délais opposables et mécanismes effectifs de contrôle et de recours, les avantages fiscaux continueront de relever davantage de l’affichage politique que d’un véritable outil de justice fiscale et de compétitivité économique.

S.S.

N.B. : L’opinion émise dans cette tribune n’engage que son auteur. Elle est l’expression d’un point de vue personnel.

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La Presse