Criminalité organisée : Quand les routes de la drogue testent la souveraineté tunisienne
La saisie de neuf kilos de cocaïne à l’aéroport de Tunis-Carthage dépasse le simple fait divers.
Elle révèle une dynamique plus profonde et des réseaux criminels transnationaux, structurés et tentaculaires, qui testent les failles des États et cherchent à s’implanter durablement.
Pour la Tunisie, l’enjeu n’est plus seulement d’intercepter des cargaisons, mais de préserver sa souveraineté face à une criminalité organisée de plus en plus intrusive et influente.
La Presse —La Police des frontières de l’aéroport de Tunis-Carthage a mis en échec une tentative d’introduction de neuf kilogrammes de cocaïne, dissimulée dans des capsules ingérées par des passeurs.
Cette opération, menée en coordination avec les services de la douane et le ministère public, a également permis de démanteler deux réseaux internationaux spécialisés dans le trafic de drogue vers la Tunisie via les points frontaliers du pays.
Selon un communiqué publié mardi 23 décembre par la Direction générale de la sûreté nationale, les principaux membres de ces deux réseaux ont été identifiés et inscrits sur la liste des personnes recherchées. Une somme de 2.500 euros a également été saisie lors de l’intervention.
Les faits remontent à vendredi dernier, lorsque les services de la douane de l’aéroport de Tunis-Carthage ont procédé au contrôle de sept voyageurs originaires d’Afrique subsaharienne. Si deux d’entre eux ont rapidement été soupçonnés d’avoir ingéré des capsules de stupéfiants avant leur arrivée en Tunisie, les autres ont dans un premier temps nié toute implication.
En coordination avec le Parquet, les suspects ont été transférés à l’hôpital Charles Nicolle de Tunis, où des examens radiologiques ont confirmé que l’ensemble des personnes placées sous contrôle avait ingéré d’importantes quantités de capsules contenant de la cocaïne.
Un réseau structuré avec des relais sur le territoire
Au cours des interrogatoires, les suspects ont reconnu qu’un ressortissant subsaharien résidant en Tunisie était chargé de l’écoulement de la drogue sur le territoire national. Des unités sécuritaires ont alors été dépêchées à son domicile, où sept ressortissants étrangers ont été interpellés. Cette révélation met en lumière une organisation structurée, disposant de relais locaux, capable de coordonner l’importation, la distribution et la logistique d’un trafic de grande ampleur.
Il ne fait aucun doute que les autorités nationales font preuve d’une vigilance constante. Les saisies de produits illicites se multiplient, et rares sont les semaines sans opérations de ce type. Toutefois, toutes les statistiques internationales confirment que lorsqu’une cargaison est interceptée, d’autres parviennent à passer. C’est la logique implacable des réseaux criminels transnationaux.
La multiplication des saisies ne doit donc pas masquer une réalité plus inquiétante; la pression croissante des narcotrafics sur le territoire tunisien.
Une alerte stratégique
Le fait qu’un trafiquant étranger établi en Tunisie dirige une opération de cette envergure constitue une alerte majeure. L’expérience internationale montre que lorsque les narcotrafiquants s’installent durablement, forts de moyens financiers colossaux, ils finissent par transformer certains espaces en zones de non-droit, échappant progressivement à l’autorité de l’État.
L’exemple des quartiers nord de Marseille, que l’État français peine encore à reprendre en main malgré des moyens sécuritaires et judiciaires considérables, est à cet égard éloquent.
Le narcotrafic, symptôme d’une recomposition des circuits criminels
Cette saisie intervient dans un contexte international marqué par une recomposition profonde des routes du narcotrafic. Face au renforcement des contrôles en Europe et en Amérique du Nord, les réseaux criminels adaptent leurs itinéraires et investissent des espaces jugés plus vulnérables, où les capacités de surveillance, de coopération internationale et de traitement judiciaire restent limitées.
La Tunisie, par sa position géographique et la multiplicité de ses points d’entrée, se retrouve de plus en plus exposée à ces stratégies de contournement, non pas comme marché prioritaire, mais comme maillon logistique d’un trafic mondialisé. Sa situation, à la croisée entre l’Afrique subsaharienne et l’Europe, en fait un point de passage naturel pour des réseaux qui testent le degré de vigilance des États à chaque frontière.
Outre la menace sécuritaire, l’installation progressive de réseaux de drogue fait peser un risque majeur sur la cohésion sociale et l’économie informelle. Car au-delà de la dangerosité de la drogue elle-même, ce sont aussi les armes et l’argent sale qui se propagent, avec une capacité de nuisance qui touche les fondements d’une société et de la nation tout entière.
Le narcotrafic prospère sur la précarité, la marginalisation et l’absence de perspectives, en créant des circuits parallèles d’argent facile qui fragilisent l’autorité de l’État et banalisent la criminalité. Pire encore, ces réseaux ciblent les jeunes locaux vulnérables, souvent en manque de repères et d’opportunités, les recrutant pour servir leurs intérêts et, de fait, devenir des armes contre leur propre pays.
Chaque jeune ainsi enrôlé représente non seulement une perte pour la communauté mais aussi un maillon renforçant l’influence des réseaux criminels, rendant plus difficile le retour à l’ordre et à la légalité. Laisser ces structures s’enraciner, c’est accepter une érosion silencieuse du pacte social, où la loi recule au profit de la peur, de la corruption et de la violence diffuse.
Une ligne rouge qu’il ne faut pas franchir
Soyons francs avec nous-mêmes, la Tunisie ne dispose ni des moyens financiers, ni des capacités institutionnelles pour tolérer l’installation durable de réseaux de narcotrafic sur son sol. Elle ne peut pas davantage devenir un pays de transit, encore moins un refuge pour des organisations criminelles internationales, ni endosser, par défaut, le rôle de garde-frontières ou de garde-côtes pour des trafics qui la dépassent et la fragilisent.
Au-delà de la réussite opérationnelle de cette saisie, l’enjeu est désormais politique, sécuritaire et stratégique. Il ne s’agit plus seulement d’intercepter des cargaisons ou de démanteler des filières, mais d’empêcher que ces réseaux ne prennent racine dans notre pays, n’achètent des loyautés, n’imposent leurs règles et ne grignotent, à bas bruit, l’autorité de l’État.
L’histoire récente d’autres pays montre que lorsque ce seuil est franchi, le coût humain, social et sécuritaire devient exorbitant et souvent irréversible.
Cette affaire doit donc être lue comme un signal d’alerte, mais aussi comme une opportunité. Celle de renforcer la coopération régionale et internationale, d’anticiper plutôt que de subir, et de traiter le narcotrafic non comme une succession de faits divers, mais comme une menace systémique capable de déstabiliser l’État national dans son essence.
La réponse ne peut être uniquement sécuritaire, elle doit être globale, lucide et durable, à la hauteur des enjeux et des fragilités du pays. Car c’est maintenant, tant que l’État conserve l’initiative, que se joue une ligne de défense essentielle, celle de la souveraineté, de la sécurité collective et de la préservation du tissu social.
C’est dans cette lucidité et cette anticipation que réside la seule chance de préserver durablement l’autorité de l’État et la cohésion nationale. Demain, il pourrait être trop tard !