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Economie

Rétrospective – Le secteur bancaire tunisien : A l’épreuve des tensions macroéconomiques

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  • 30 décembre 18:30
  • 6 min de lecture
Rétrospective – Le secteur bancaire tunisien : A l’épreuve des tensions macroéconomiques

En 2025, le secteur bancaire tunisien a été confronté à un contexte économique particulièrement tendu, marqué par un déficit budgétaire persistant, une inflation élevée et une dépréciation continue du dinar. Ces tensions macroéconomiques ont fortement influencé la liquidité, la rentabilité et la gestion des risques des établissements financiers, révélant à la fois leur résilience et leurs fragilités structurelles.

La Presse — L’année 2025 a été marquée par de fortes pressions macroéconomiques en Tunisie, face à un déficit budgétaire persistant, une inflation élevée, notamment sur les produits importés, et une dépréciation continue du dinar.

Ces déséquilibres ont directement affecté le secteur bancaire à travers trois principaux canaux : la liquidité, la rentabilité et la gestion des risques.

Mohamed Nkhili, enseignant universitaire en droit bancaire et directeur central juridique dans une banque, a déclaré que cette conjoncture a révélé la vulnérabilité structurelle du système bancaire face aux tensions macroéconomiques.

Liquidité sous tension

Sur le plan de la liquidité, le système bancaire a subi un resserrement significatif en dinars, principalement en raison des besoins de financement du Trésor public, qui a continué à capter une part importante des ressources bancaires via les adjudications de titres publics.

La Banque centrale de Tunisie a poursuivi ses injections de liquidité via les opérations d’open market, mais à un coût élevé, ce qui a limité la transmission du financement vers l’économie réelle.

Par ailleurs, la liquidité en devises est restée tendue, reflétant la faiblesse persistante des réserves en monnaies étrangères. Mohamed Nkhili a souligné que cette situation accentue le rôle stratégique de la Banque centrale dans la régulation monétaire et la stabilité financière, et qu’elle souligne la nécessité d’une coordination accrue entre les politiques monétaires et les besoins du secteur bancaire.

La rentabilité des banques a été fortement affectée par plusieurs facteurs concomitants. D’une part, la hausse des taux directeurs a entraîné un accroissement du coût des ressources, tandis que les marges d’intermédiation se sont contractées sur certains segments, en raison d’une concurrence accrue pour la collecte des dépôts et des conditions de refinancement plus contraignantes.

D’autre part, les provisions pour créances douteuses ont continué de croître, pesant sur les résultats nets. Enfin, si les placements en titres souverains ont offert des rendements nominaux élevés, ils ont également exposé les banques à un risque souverain accru et à une valorisation fragilisée par les tensions sur la dette publique.

Mohamed Nkhili a ajouté que la dépendance aux titres souverains ne constitue pas une stratégie viable à long terme pour assurer la rentabilité durable des établissements bancaires.

Une accentuation des risques

En matière de gestion des risques, les crédits accordés aux secteurs fortement exposés aux importations, tels que l’énergie et l’agroalimentaire, ainsi qu’aux ménages affectés par l’inflation, se sont avérés plus risqués.

Face à cette situation, les banques ont durci leurs critères d’octroi et renforcé le suivi des encours. Néanmoins, la dégradation de la qualité des actifs est restée difficilement évitable. Le risque de change est demeuré une préoccupation majeure, surtout pour les établissements disposant d’engagements significatifs en devises.

Mohamed Nkhili a indiqué que la gestion proactive des risques et la digitalisation des outils de suivi sont désormais essentielles pour préserver la résilience du système bancaire. Malgré les intentions affichées, le soutien du secteur bancaire à l’économie réelle, et plus particulièrement aux PME, s’est affaibli en 2025.

La part des crédits à l’économie dans le total des bilans a stagné, voire reculé, tandis que les acquisitions de titres publics ont continué à offrir des rendements attractifs avec un risque perçu comme inférieur.

Les banques ont ainsi privilégié les actifs souverains, renforçant une tendance structurelle accentuée par la crise. Selon Mohamed Nkhili, ce phénomène de « crowding-out » limite l’accès au financement du secteur privé et accentue les disparités entre grandes entreprises et PME.

Les PME ont été particulièrement pénalisées : leur profil de risque, garanties limitées, sensibilité à la conjoncture et coûts de suivi élevés ont conduit à un rationnement du crédit. Les mécanismes de garantie partielle, notamment via la Sotugar et d’autres dispositifs publics, se sont révélés insuffisants pour compenser l’aversion au risque des banques.

En revanche, les crédits ont été majoritairement orientés vers les grandes entreprises exportatrices et les secteurs jugés résilients, tels que les télécommunications et les énergies renouvelables, tandis que le financement de l’innovation, des TPE et des startups est resté très limité. Mohamed Nkhili estime que plusieurs enseignements essentiels se dégagent de cette année.

D’abord, la dépendance aux titres souverains n’est pas une stratégie viable à long terme. Ensuite, la digitalisation des services et des paiements devient un facteur crucial de résilience, et la gestion des risques doit intégrer des chocs multiples : change, inflation et tensions sociales. Enfin, la supervision bancaire doit être proactive afin d’éviter une détérioration systémique de la qualité des actifs.

Priorités pour 2026

Pour renforcer la résilience du secteur bancaire en 2026, plusieurs priorités se dégagent et s’articulent de manière complémentaire. Tout d’abord, la restructuration ciblée du crédit consiste à mettre en place des incitations réglementaires ou fiscales afin d’orienter les financements vers les PME et les secteurs productifs, éventuellement via des lignes de refinancement dédiées de la Banque centrale de Tunisie.

Dans le même temps, le renforcement des fonds propres demeure essentiel, certaines banques devant augmenter leur capital pour absorber d’éventuelles pertes et se conformer aux normes de Bâle III/IV. Parallèlement, une gestion active du risque de change est nécessaire, notamment par le développement de produits de couverture pour les entreprises et la réduction des déséquilibres en devises dans les bilans bancaires.

L’accélération de la transformation digitale constitue également un levier stratégique, permettant d’améliorer l’efficacité opérationnelle, de renforcer l’inclusion financière et d’affiner le scoring de crédit.

Enfin, une coordination étroite avec les autorités s’impose, incluant la mise en œuvre d’un plan de consolidation budgétaire clair et la réforme des entreprises publiques, afin de réduire l’effet d’éviction et de restaurer la confiance des acteurs économiques.

Mohamed Nkhili a conclu que la combinaison de ces mesures est indispensable pour permettre au secteur bancaire tunisien de jouer pleinement son rôle d’intermédiaire financier, au service de la croissance et du financement de l’économie réelle.

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Auteur

Sabrine AHMED