Vient de paraître « Champ – contrechamp » de Kamel Ben Ouanès : Un regard essentiel sur le cinéma tunisien
Vient de paraître chez Contraste Editions « Champ-contrechamp », un ouvrage de référence signé Kamel Ben Ouanès, qui s’impose d’emblée comme une contribution majeure à la critique et à l’analyse du cinéma tunisien.
A la croisée de l’histoire, de l’esthétique et de la réflexion théorique, ce livre dense et accessible s’adresse aussi bien aux spécialistes qu’aux lecteurs curieux désireux de mieux comprendre les lignes de force du septième art national.
La Presse — Critique de cinéma et de littérature, enseignant du langage cinématographique et de la littérature française à l’Université de Carthage (Islt et Esac), Kamel Ben Ouanès est également scénariste, documentariste et producteur au sein de la société Kantaoui Films.
Son parcours intellectuel et artistique, nourri par une pratique concrète du cinéma, confère à cet ouvrage une profondeur rare. Il est notamment l’auteur de « Figures », « La Tunisie, 30 ans de cinéma » ainsi que d’un essai consacré à Georges Pèrec.
Structuré autour d’une approche qui conjugue lecture historique et analyse esthétique, « Champ-contrechamp » propose, dans un premier temps, un décryptage rigoureux des quatre premières décennies de la cinématographie tunisienne (1960-2000). L’auteur s’attarde ensuite sur les relations fécondes entre cinéma et littérature, examinant les mécanismes normatifs ou innovants de l’adaptation du texte littéraire à l’écran dans la filmographie tunisienne.
La dernière partie ouvre une réflexion salutaire sur le véritable champ de la critique cinématographique, aujourd’hui confrontée à la critique journalistique classique, mais aussi à la prolifération des avis instantanés et souvent approximatifs sur les plateformes numériques.
D’une écriture élégante et exigeante, l’ouvrage défend une thèse forte : la « tunisianité » du cinéma national ne se réduit ni à un simple réservoir de thèmes, ni à un catalogue de valeurs ou de discours identitaires. Elle relève avant tout d’une quête de style, de la construction d’un univers formel où se mêlent les archétypes de la culture locale et une manière singulière d’habiter le réel. Fidèle à son titre, « Champ-contrechamp » adopte une démarche dialogique : chaque hypothèse est discutée, mise à l’épreuve, interrogée par une voix critique à la fois discrète, vigilante et profondément engagée.
L’un des apports majeurs du livre réside dans l’analyse de deux dimensions essentielles du cinéma tunisien. D’une part, ce que l’auteur nomme les « métaphores obsédantes », chez des cinéastes pour qui l’acte de filmer procède d’une immersion dans la subjectivité et les résonances du moi. D’autre part, la recherche d’un dispositif formel capable de saisir le réel dans ce qu’il a de spécifique, sans céder aux clichés ni à l’assignation identitaire.
La tunisianité, ici, se déploie dans les strates de l’imaginaire collectif et dans le dialogue constant avec le champ littéraire.
Dans cette perspective, l’étude des rapports entre cinéma et littérature, deux formes narratives parmi les plus populaires, conduit Kamel Ben Ouanès à interroger les enjeux formels et techniques de l’adaptation, en convoquant notamment « Don Quichotte » de Cervantès et « A la recherche du temps perdu » de Proust, afin de mieux cerner la relation singulière que le cinéma tunisien entretient avec le récit littéraire.
Enfin, « Champ – contrechamp » élargit le cadre de réflexion à l’espace maghrébin, affirmant que la question de la tunisianité ne peut être pensée sans une poétique de l’errance, de la transhumance et du déplacement.
Entre mer et désert, entre immensités lumineuses et ruelles ombragées, se dessine la matrice de l’imaginaire du cinéaste tunisien, nourrie par un espace à la fois ouvert et enclavé, source d’une esthétique singulière et d’un regard profondément ancré dans son territoire.
Avec « Champ–contrechamp », Kamel Ben Ouanès offre un ouvrage indispensable, à la fois outil critique, livre de réflexion et invitation à repenser le cinéma tunisien dans toute sa complexité et sa richesse.