Alors que l’année s’achève, de nombreux moments musicaux ont certes été marquants, tant pour les professionnels que pour le public.
Les Tunisiens sont des mélomanes confirmés, avec une diversité de goûts et une ouverture saluée par les artistes nationaux et les invités étrangers. Voici une sélection des temps forts qui ont rythmé l’année.

La Presse — Le public a eu rendez-vous cette année avec des artistes qu’il aime tant, absents depuis de longues années. On a donc applaudi Nancy Ajram, Najoua Karam, Cheb Mami, Ahlam, Marcel Khalifa, Elissa, Ibrahim Maâlouf et même les Gipsy Kings.
C’était également le grand retour de stars tunisiennes qu’on n’a pas vues sur nos scènes depuis un certain temps.
Latifa, Sofia Sadok et Nabiha Karaouli ont livré des prestations de haut niveau dans des théâtres archi-combles. C’était également le grand retour sur scène pour plusieurs artistes masculins dont Ghazi Ayadi, Slim Dammak, Walid Ettounsi et Riadh Fehri.
Les GenZ imposent leurs goûts
En plus de nos artistes confirmés et de renom, nous avons accueilli cette année de jeunes stars dont les passages ont déferlé sur la toile. Shami et Silaoui ont fait plus d’un concert sur les scènes les plus prestigieuses, tous marqués sold out. Un enthousiasme déchaîné a poussé les fans à se rapprocher des chanteurs et à s’accrocher à eux.
Les pleurs et l’attitude insistante ont suscité de fortes critiques. La prestation de Saint-Levant avec la chorégraphie de la chaise en plastique a déclenché une polémique. Le chanteur égyptien Tul8 a donné un concert mémorable, le visage couvert à son habitude, comme cagoulé.
Ces musiciens ont été fortement acclamés par leur public, majoritairement jeune, raillés, même condamnés par d’autres. Il est clair que le conflit des générations s’étend jusqu’aux goûts musicaux.
Ce succès phénoménal durera-t-il ? Seront-ils accueillis avec le même enthousiasme les années prochaines ?
Des institutions se modernisent

S’il y avait un trophée du projet musical le plus audacieux de l’année, il irait certainement à « Mahfel Room » de Aziz Mbarek. L’ouverture du Festival « Tarnimet » de La Rachidia, dédié au Cheikh Khemais Tarnane, s’est faite avec un DJ au cœur du local de l’institution presque séculaire. Un concert debout d’electronic malouf a réuni trois DJs et des centaines de spectateurs, majoritairement jeunes.
La deuxième prestation de « Mahfel Room » a été donnée à l’Académie tunisienne Beït al-Hikma avec du Stambeli digitalisé. Belhassan Mihoub et le DJ Don Pac se sont croisés pour une soirée où le gumbrī et les shqāshiq se sont joints aux notes de musique électronique.
C’était encore un concert debout affiché complet. Au-delà de l’ambiance purement musicale, ce concept aspire à drainer un public nouveau à ses institutions accusées d’être figées et à les faire connaître auprès des jeunes. Un pari gagné certes, et d’autres monuments historiques sont encore sur la liste pour de prochaines dates.
Des hommages, et encore des hommages
Nous avons célébré la mémoire de Charles Aznavour, un an après son centenaire, Dalida, Edith Piaf, Jacques Brel, Abba, Oum Kalthoum pour 50 ans passés depuis sa disparition, Baligh Hamdi, Fairouz, Salah El Mahdi, Oulaya, Saliha..
Les affiches ont foisonné, les dates et les scènes se sont multipliées. On a même reçu des artistes étrangers pour des concerts de reprises, comme May Farouk. Le ministère des Affaires culturelles a lancé une série de spectacles dédiés aux grands noms de la scène musicale tunisienne intitulée « Ain lemahabba » où de jeunes chanteurs partagent la scène avec des artistes moins jeunes pour interpréter des titres tunisiens phares.
Si certains pensent que les spectacles d’hommages sont des solutions de facilité et préfèrent soutenir les nouvelles créations, un large public est séduit par ces concerts où le contenu est familier. Ce sont des moments de partage où on reprend en chœur les couplets et les refrains pour la plupart gravés dans la mémoire.
C’est le public qui chante
Depuis le premier concert de l’artiste marocain Boudchart, le public ne cesse de chanter. « Kolnanghanni » du maestro Jihed Jbara, « Yallanghani » de Kais Melliti, « Tounestghani » avec ses dérivés ajustés à chaque ville, comme « Sousse tghani », « Sfax tghani »… Ce concept musical participatif ne cesse de gagner en succès et on ne s’en lasse pas.
Les spectacles se font presque toujours à guichets fermés avec un public majoritairement féminin. Un code vestimentaire en blanc complet est suggéré. Le programme peut inclure des interprètes en invités et des danseurs.
Le point fort, c’est que le public n’est plus passif. Il est acteur du spectacle et se sent entièrement impliqué dans l’événement, ce qui rend l’expérience plus mémorable.
Des créations applaudies, d’autres en attente de reconnaissance
Raouf Maher, Zied Gharsa, Chirine Lajmi, Sirine Miled, Zineb Cherif font partie des artistes qui ont publié plusieurs nouveaux morceaux et vidéos musicaux en 2025. Bahaa Al Kafi, ex-finaliste de Star Academy a sorti un nouveau single qui a cumulé 2 millions de vues en moins d’une semaine. Sofyann Ben Youssef, alias Ammar 808, a sorti « Club Tounsi », un projet qui fusionne rythmes traditionnels du mezoued avec des sonorités électroniques contemporaines. Kaso a publié un nouvel album, « Mode Avion ». Latifa a dominé les plateformes à l’échelle arabe avec « Albi rteh ».
Certains autres artistes proposent un produit nouveau d’une qualité incontestable, mais peinent à l’imposer à cause de leur énorme succès dans les reprises. Ils ont séduit une large audience avec des titres connus qu’on leur réclame à chaque concert, ce qui éclipse leurs propres chansons. C’est le cas pour Yosra Mahnouch, Eya Daghnouj et Boutheïna Nabouli.
Des compositeurs ont également conçu des spectacles applaudis par les critiques et le public, mais qui n’ont pas été programmés en dehors de quelques occasions restreintes, comme « Ombres d’Atlas » de Outail Maaoui, « Hadra » de Dhirar Kefi et « Alchimie » de Rafik Gharbi.
Les Tunisiens et l’opéra : une passion qui perdure
Après le succès fulgurant de « Carmen », le théâtre de l’Opéra de Tunis a conquis une large audience avec « La Traviata ». Un travail à saluer au niveau de la qualité vocale, la performance des musiciens et la mise en scène incluant les décors, les danses… Après deux essais qui ont reproduit des classiques internationaux, un opéra basé sur un livret tunisien est en cours de préparation. Le titre est déjà annoncé, « Didon et Enée », et le public est impatient de le découvrir.
Les orchestres prennent leur envol
Le Carthage Symphony Orchestra et l’Orchestre Symphonique Tunisien se sont imposés depuis des années et ont réussi à fidéliser leur public, notamment par une programmation variée au-delà de la musique classique. Cette année, nous avons assisté à une montée en puissance de l’Orchestre Philarmonique des Solistes dirigé par le maestro Achref Bettibi. Pour lui, tout se prête à l’arrangement orchestral.
La preuve, il a présenté à plusieurs reprises la « Symphonie du Club », un concert où on joue les chansons du virage comme on jouerait Mozart.
Une aventure musicale singulière qui restera dans les annales. L’Orchestre Chœur El Manar avance également à grands pas, dirigé par une cheffe déterminée, Salma Messaoudi. De belles réussites se profilent à l’horizon.

De nouveaux festivals mis sur pied, et des anciens ressuscités
Hergla a abrité cette année la première édition de son premier festival qui a détrôné ses voisins avec des stars de Tunisie et d’ailleurs au programme. Le Festival International des Arts populaires a été lancé à Oudhna.
Malek Lakhoua, figure éminente du jazz en Tunisie, a organisé une première édition réussie du Jazz’it Festival en dépit des contraintes budgétaires. Une large palette de spectacles s’est donc ajoutée aux grands événements habituels.
Le Festival de Tabarka Musiques du Monde signe son grand retour en 2025, après plusieurs années d’absence. El Ferch a accueilli le Festival des cultures numériques « E-FEST » après 7 longues années d’absence.
La Tunisie a donc vibré tout au long de l’année au rythme de sons venus des quatre coins du globe. La richesse musicale a perduré malgré les critiques liées aux événements moins réussis et aux défis financiers.