Billet 2025, l’art d’avancer à contre-jour
La Presse — L’année culturelle 2025 s’achève sans grands éclats, sans moments fondateurs capables de redessiner durablement le paysage artistique. Une année en demi-teinte, marquée davantage par la persistance et l’initiative individuelle que par une vision culturelle novatrice ou des politiques publiques ambitieuses.
Et pourtant, la scène n’a jamais été totalement immobile.
Dans un contexte fragilisé, ce sont les créateurs eux-mêmes qui ont tenu la barre. Quoiqu’ avec l’argent du contribuable et à l’aide de subventions, artistes, metteurs en scène, musiciens, plasticiens, chorégraphes ont continué à produire, à chercher, à inventer — souvent à contre-courant, parfois dans la précarité, mais avec une conviction intacte. L’initiative personnelle est devenue la véritable locomotive de l’action culturelle, suppléant des institutions en retrait, souvent engluées dans le slogan du «manque de moyens ».
Malgré cela, et peut-être grâce à cette contrainte même, les artistes tunisiens ont continué à rayonner à l’international. Résidences, tournées, albums, expositions, sélections dans des festivals et biennales à l’étranger ont confirmé que la création tunisienne demeure vivante, crédible et désirable hors de ses frontières. Un paradoxe de plus : une reconnaissance extérieure qui contraste avec la fragilité locale..
Sur le plan esthétique, 2025 aura été une année d’exploration de plus plutôt que de consécration. En musique, de nouvelles hybridations ont vu le jour, mêlant traditions locales, électro, jazz, écritures contemporaines et expérimentations sonores. Le théâtre, lui, a continué à creuser des formes plus intimes, souvent minimalistes, questionnant l’individu, la mémoire, la violence sourde du quotidien ou les fractures sociales. Quant aux arts visuels, ils ont investi de nouveaux territoires avec installations, performances, art contextuel interrogeant l’espace public, le corps et les récits.
Beaucoup de tentatives, rien de définitif, mais une scène en recherche continue.
Face à cela, les institutions publiques ont souvent donné l’impression d’accompagner le mouvement sans l’impulser. Programmations prudentes, budgets contraints, discours répétés sur l’insuffisance des ressources : l’Etat culturel semble gérer plus qu’il ne projette. Quelques chantiers ont néanmoins marqué l’année, notamment dans le domaine du patrimoine : restaurations de sites, poursuite de fouilles archéologiques, expositions révélant de nouvelles découvertes et rappelant l’extraordinaire richesse historique du pays. Ces initiatives ont, tout de même, constitué l’un des rares fils conducteurs visibles d’une politique culturelle à long terme.
Mais 2025 restera aussi marquée par des absences lourdes de sens. Deux festivals d’Etat ont disparu sans explication officielle, sans annonce, sans bilan : Carthage Dance et les Journées musicales de Carthage. Deux plateformes majeures pour la danse contemporaine et la création musicale, deux espaces de visibilité et de débat, effacés dans un silence troublant. Leur disparition pose une question essentielle: que devient la mémoire culturelle collective quand les événements structurants s’éteignent sans trace ni parole ?
En définitive, 2025 n’aura pas été une année de grandes réalisations, mais une année de résistance créative. Une année où les artistes ont continué à créer, malgré tout. Où la culture a avancé par fragments, par gestes isolés, à contre-jour, par convictions personnelles plus que par stratégie nationale.