CEA – Mobilisation des ressources nationales : Un défi central pour le développement
La Tunisie participe du 11 au 13 novembre 2025, à Rabat (Maroc), à la 40e réunion du Comité intergouvernemental de hauts fonctionnaires et d’experts pour l’Afrique du Nord, organisé par le Bureau de la CEA (Commission économique pour l’Afrique) sur le thème : « Renforcer la mobilisation des ressources intérieures par l’innovation et la technologie en Afrique du Nord ». Face à l’ampleur des besoins de financement pour leur développement, les ressources intérieures des pays nord-africains, telles que la fiscalité, l’épargne publique et l’efficacité des dépenses publiques, ont un rôle déterminant à jouer dans la concrétisation d’un développement résilient, le financement des services publics essentiels et les investissements stratégiques. Elles peuvent également les aider à éviter une dépendance excessive à l’égard des financements extérieurs, de l’aide au développement, des investissements directs étrangers ou à la dette souveraine, qui peuvent être sujettes à des fluctuations.
La Presse — Actuellement, en Afrique du Nord, plusieurs pays comme l’Egypte, la Libye, la Mauritanie et le Soudan perçoivent moins de 15 % de leur PIB en taxes, des montants inférieurs aux normes internationales et insuffisants pour financer les services publics essentiels. Pour compenser la faiblesse des ressources intérieures, plusieurs pays dépendent de sources de recettes, telles que les taxes commerciales et l’export de matières premières, plus volatiles et exposées aux chocs extérieurs.
Des pertes de revenus importantes sont également observées en raison de phénomènes comme les flux financiers illicites, la fraude fiscale, la contrebande ou l’informel. Pour échapper à cette situation et renforcer leur capacité à financer leur développement, les pays d’Afrique du Nord se doivent d’adopter une approche holistique, incluant le développement de systèmes fiscaux modernes, la digitalisation de l’administration fiscale, le renforcement de la transparence budgétaire et la traçabilité des dépenses publiques, le renforcement de l’inclusion financière, et le développement de marchés de capitaux pour mobiliser l’épargne et attirer les investissements.
La réunion du Comité intergouvernemental de hauts fonctionnaires et d’experts pour l’Afrique du Nord verra la participation des pays membres, d’institutions et organisations nationales et internationales de développement, de chercheurs, experts et représentants du secteur privé et de la société civile.
La mobilisation des ressources nationales (MRN) constitue « un pilier de l’indépendance budgétaire et du financement du développement d’un pays », précise-t-on dans un communiqué de la CEA. Elle permet de soutenir les dépenses publiques et les investissements qui sont essentiels à la croissance à long terme (éducation, santé, infrastructures, etc.).
En renforçant la mobilisation interne des ressources à travers une fiscalité efficace, une mobilisation de l’épargne et une gouvernance financière solide, « les gouvernements réduisent leur dépendance vis-à-vis de l’aide volatile, des investissements directs étrangers (IDE) et des cycles de dette souveraine. Une base de recettes publiques robuste favorise la stabilité et la crédibilité des finances publiques et offre une marge de manœuvre pour une planification stratégique durable ».
Performances mitigées
Selon la même source, malgré des progrès globaux notables, les performances de l’Afrique du Nord en matière de gestion des risques de catastrophe restent mitigées. En 2022, les ratios « impôts-PIB » dans la sous-région varient entre 24,69% en Tunisie — l’un des plus élevés d’Afrique — et moins de 15% en Algérie, en Egypte, en Mauritanie, en Libye et au Soudan, soit un niveau inférieur à la moyenne africaine de 16 % et à la référence de l’Ocde, qui se situe entre 25 et 30 %.
La prédominance de l’économie informelle, qui représente plus de 40 % de l’emploi total dans la plupart des pays, réduit l’assiette fiscale et complique la mise en conformité. Renforcer la mobilisation des ressources nationales est d’autant plus important dans un monde confronté à de multiples défis, tels que le changement climatique et la fragmentation géopolitique, d’après la CEA.
Le réchauffement climatique réduit la marge de manœuvre budgétaire : il accroît les coûts liés à l’adaptation et à la résilience, tout en diminuant l’assiette fiscale. « Le réchauffement climatique devrait avoir un impact considérable sur l’Afrique du Nord. La CEA (2025) a estimé qu’une augmentation de +1 °C des températures mondiales pourrait entraîner une baisse du PIB par habitant de 11 % en 5 ans.
Ce chiffre est très probablement une estimation minimale, car les effets du réchauffement climatique ne se sont pas encore pleinement manifestés. En effet, si la limite de 1,5 °C d’augmentation de la température, fixée par l’accord de Paris, venait à être franchie d’ici 2029, le réchauffement climatique s’accélérerait, amplifiant considérablement ses répercussions physiques et économiques ».
Dans ce contexte, l’adaptation devient une urgence absolue et exige des investissements conséquents. Le coût de l’adaptation est estimé entre 30 et 50 milliards de dollars américains par an au cours de la prochaine décennie, soit l’équivalent de 2 à 3 % du PIB du continent africain.
Si la plupart des pays d’Afrique du Nord ont atteint le statut de revenu intermédiaire (malgré des niveaux de revenu par habitant encore hétérogènes), leur position est menacée par les nouveaux défis mondiaux. « Pour éviter de se retrouver dans une trajectoire de faible productivité et d’inégalités croissantes, ils devront investir beaucoup plus dans les infrastructures essentielles, l’éducation, le développement des compétences et l’innovation.
La fragmentation géopolitique redéfinit l’accès au capital, réduisant les flux d’investissement directs étrangers (IDE) et l’aide au développement vers les pays en développement », révèle la CEA.
Transformation numérique
Dans ce contexte, les pays d’Afrique du Nord doivent identifier les réformes institutionnelles et politiques nécessaires, afin de renforcer la mobilisation et l’utilisation des recettes fiscales et non fiscales, tout en luttant contre les flux financiers illicites. « L’innovation et la numérisation transforment ce paysage.
La mobilisation des ressources nationales ne repose plus uniquement sur la fiscalité et l’épargne, mais de plus en plus sur la manière dont la transformation numérique peut moderniser les systèmes fiscaux, réduire les fuites et élargir l’assiette fiscale ». La Tunisie a été l’un des pays pionniers dans la mise en place de systèmes fiscaux mobiles et développe actuellement des solutions d’achat numérique et de suivi des dépenses.
Ces outils visent à renforcer la transparence fiscale et réduire les fuites. En Afrique, le Forum africain de l’administration fiscale (Ataf) met en avant les plateformes fiscales électroniques, l’analyse des mégadonnées et les technologies financières comme des leviers pour élargir l’assiette fiscale et améliorer la conformité.
Au-delà des systèmes fiscaux, la finance numérique ouvre de nouvelles perspectives pour mobiliser l’épargne nationale. Les plateformes de paiement mobile et les solutions de technologie financière élargissent l’accès aux services financiers pour des populations auparavant exclues.
Par ailleurs, les technologies émergentes peuvent renforcer la gouvernance de la MRN : la blockchain pour des registres de transactions sécurisés, le big data et l’intelligence artificielle (IA) pour l’analyse et la gestion des risques de conformité… L’exploitation de ces outils exige des investissements dans les infrastructures, les capacités réglementaires et la culture numérique.
En somme, cette réunion du groupe d’experts vise à fournir une plateforme aux décideurs politiques, aux praticiens, aux représentants du secteur privé et aux partenaires de développement d’Afrique du Nord afin de partager les expériences nationales sur la politique fiscale, la modernisation fiscale grâce aux technologies numériques et aux réformes en matière d’inclusion financière, identifier les opportunités offertes par les technologies numériques pour développer la mobilisation des ressources nationales, discuter des pistes de politiques à mettre en œuvre pour formaliser les activités informelles.