La Tunisie possède une huile d’olive que le monde admire, mais que nous ne savons pas encore assez raconter. Derrière chaque goutte, il y a une terre lumineuse, un savoir ancestral, une qualité que d’autres revendiquent mieux que nous. Tant que notre or vert quittera le pays sans nom, sans visage, sans histoire, il ne pourra révéler tout son potentiel. La vraie question est ailleurs : pourquoi tardons-nous encore à transformer cette fierté millénaire en marque, en récit, en ambition ?
La Presse — La Tunisie, petite par la taille, est grande par son huile. Elle figure parmi les tout premiers producteurs mondiaux d’huile d’olive. Nos collines d’oliviers s’étendent à perte de vue, nos récoltes battent des records, nos exportations progressent. Et pourtant, la valeur ajoutée nous échappe encore.
Une chose est sûre : nous savons produire, hélas, nous ne savons pas encore assez vendre. L’heure a sonné. Faisons notre storytelling national !
Du champ à la bouteille… du label au récit
Chaque année, nos huileries extraient des centaines de milliers de tonnes d’une huile que les plus grands connaisseurs jugent parmi les meilleures au monde. Les analyses en attestent, les chefs la plébiscitent, les marchés la réclament. Mais sur les rayons de Rome, de Madrid ou de Paris, cette huile d’olive tunisienne est souvent vendue sous une autre étiquette.
L’Italie et l’Espagne, nos partenaires autant que nos concurrents, rachètent notre huile en vrac, la mélangent, la reconditionnent, puis la revendent, parfois trois fois plus cher. Elles font recours à notre huile pour améliorer la leur. Elles exportent notre qualité, mais sous leur marque. Nous exportons notre effort, mais sans notre nom.
Le monde ne se contente plus de consommer. Il choisit, il compare, il se fie à une histoire, à une image. Or, c’est précisément là que la Tunisie doit apprendre à se raconter.
Nos producteurs doivent comprendre que le XXIe siècle appartient à ceux qui maîtrisent la chaîne entière : du champ à la bouteille, du label au récit. L’huile d’olive tunisienne, pour se rentabiliser, doit devenir un produit de marque, pas seulement une matière première. Cela exige une politique cohérente, notamment un label national fort, garantissant l’origine et la qualité, une présence affirmée dans les foires et salons internationaux, pas sous une bannière générique mais sous une identité tunisienne et une stratégie numérique. Aujourd’hui, la vente en ligne et le marketing visuel font plus pour l’image d’un produit que mille discours institutionnels.
Suivre l’exemple des autres
L’Italie a su vendre une culture. L’Espagne a vendu un art de vivre. La Grèce a vendu son authenticité. La Tunisie peut vendre son équilibre : la bénédiction de ses terres du Centre, la lumière du Sahel, la sagesse des gestes, la pureté du goût. Mais cela suppose une vision partagée entre l’État, les exportateurs et les petits producteurs. Aujourd’hui, trop de structures se font concurrence là où elles devraient s’allier. Trop d’intermédiaires captent la marge qui devrait revenir à ceux qui travaillent la terre.
La Tunisie possède un avantage rare : un produit authentique, millénaire, et unanimement reconnu pour sa qualité. Dans un monde saturé de produits industriels, cette authenticité vaut de l’or. Il faut juste savoir la raconter, la protéger, la transmettre.
Notre huile n’est pas un simple liquide doré : elle est le fruit d’un savoir ancestral, d’un climat bienveillant, d’une terre qui a donné naissance à Carthage. Cette mémoire collective est un capital économique. Il faut la transformer en marque de confiance, en signe de prestige.
Ce que l’Etat peut faire
L’État tunisien n’a pas à tout faire, mais il doit donner l’impulsion. Il doit faciliter la certification, encourager la mise en bouteille locale, appuyer les exportateurs audacieux et surtout investir dans le storytelling national : une diplomatie économique fondée sur nos atouts agricoles. Les ambassades peuvent devenir des vitrines, les foires des tribunes, les médias des leviers d’image. La Tunisie a déjà prouvé, à maintes reprises, qu’elle pouvait produire mieux que les autres.
Elle doit désormais prouver qu’elle peut se vendre aussi bien qu’eux. Il y a dans cette huile quelque chose qui nous ressemble.
Si la Tunisie apprend à lui donner la place qu’elle mérite sur les marchés, dans les esprits, sur les tables du monde, alors l’huile d’olive deviendra ce qu’elle aurait toujours dû être : le visage d’une Tunisie qui fascine. Et peut-être, aussi, le symbole d’un pays qui a enfin compris qu’entre produire et réussir, il y a une différence : celle de la vision.