Filière oléicole : Le duo État-privé à la rescousse
Bien qu’ayant indéniablement gagné en maturité par rapport aux décennies précédentes, la filière tunisienne de l’huile d’olive demeure en retrait face à un marché mondial devenu extrêmement compétitif. Les initiatives publiques pour soutenir et moderniser la production ont permis une hausse notable des volumes et une meilleure structuration en amont, mais ces avancées peinent encore à se traduire pleinement sur le marché intérieur, où subsistent des fragilités structurelles et des dysfonctionnements qui freinent la valorisation de ce produit phare.
La Presse — La production nationale d’huile d’olive pourrait dépasser les 500.000 tonnes au cours de la campagne 2025-2026, mais le marché intérieur demeure confronté à des défis majeurs qui empêchent encore une valorisation optimale de cette ressource stratégique.
L’expert en politiques agricoles et en développement durable, Faouzi Zayani, souligne, dans une interview accordée à La Presse, que le développement de la filière oléicole repose avant tout sur le dynamisme du secteur privé. Selon lui, les opérateurs privés ne cessent d’investir massivement pour renforcer leur compétitivité, faire face à une concurrence internationale de plus en plus intense et consolider la place de l’huile d’olive tunisienne sur les marchés mondiaux.
Capacité financière
L’expert n’a pas manqué de rappeler que ce secteur stratégique pour l’économie nationale est confronté à un seul problème majeur : le financement. «Tous les problèmes seront résolus si le financement est mobilisé. Si on n’assure pas un financement adapté, on ne fixe pas des taux d’intérêt préférentiels pour le secteur agricole, on ne peut pas aller très loin, de même pour l’agriculteur, l’extracteur ou l’exportateur».
Et d’ajouter que «pour que l’agriculteur puisse préparer toute sa chaîne de production dans de bonnes conditions, conserver sa récolte et accéder à un prêt à faible taux, il faudrait un soutien plus adapté. Sans cela, il ne peut pas aller très loin : il se contente de cueillir et de vendre aussitôt, sans transformer en huile. Avec un financement réellement garanti, il n’aurait plus de difficultés de stockage, de production ou de commercialisation».
Mobiliser des financements conséquents pour l’ensemble de la chaîne de production enverrait un signal fort à l’étranger : celui d’un État engagé aux côtés de l’agriculteur et déterminé à protéger ses produits. «À partir de là, nous aurions davantage de chances et de réelles possibilités de conquérir d’autres marchés, désormais régis par la solidité financière et par des stratégies de marketing efficaces», soutient Zayani.
Apport des particuliers
Pour ce qui est de l’export, l’expert rappelle que les compétences tunisiennes ont su ouvrir de nouveaux marchés, notamment au Canada, où la Tunisie occupe aujourd’hui la première place en matière d’huile d’olive. Depuis une dizaine d’années, des investisseurs ont soutenu, directement et indirectement, d’autres exportateurs pour s’y positionner durablement. «Ce sont les exportateurs privés qui ont porté la promotion du produit grâce à un marketing en constante évolution».
D’après lui, ces trois dernières années ont également été marquées par une progression notable aux États-Unis. Certains concurrents ont tenté de discréditer l’huile d’olive tunisienne, devenue très présente sur les rayons de la grande distribution américaine, d’autant que la Tunisie bénéficiait, avant l’instauration, en avril 2025, de droits de douane additionnels, d’un accès au marché américain avec un taux de taxe nul. L’apport du secteur privé dans cette expansion est, de fait, incontestable.
Le contexte mondial évolue. «Nous sommes à l’ère du «show-cooking» et des chaînes privées. Pour conquérir de nouveaux marchés, notamment dans les pays émergents, les opérateurs privés s’appuient sur ces nouveaux outils de visibilité et de marketing».
L’expert insiste également sur la nécessité d’un partenariat solide entre l’État (sur les volets législatif et logistique) et le secteur privé, afin de créer des espaces économiques durables dédiés aux produits tunisiens et actifs toute l’année. Pour y parvenir, «il serait indispensable de mettre en place une agence nationale de l’exportation, regroupant l’ensemble des activités, des organismes, des représentants des ministères concernés, des médias et des compétences. Elle pourrait relever soit de la présidence de la République, soit du gouvernement».
L’exportation comme levier de régulation
Pour absorber la surproduction, l’intensification des exportations apparaît comme une solution stratégique. La Tunisie a déjà démontré sa capacité à s’imposer sur de nouveaux marchés : en juin 2025, elle a fourni 24,5% de l’huile d’olive importée par les États-Unis, soit 16.158 tonnes, contre seulement 5.917 tonnes lors de la campagne précédente. Cette progression spectaculaire de plus de 170% révèle un potentiel réel, mais qui reste malheureusement encore largement sous-exploité.
Toutefois, la majorité des exportations tunisiennes se font encore en vrac, limitant fortement la valeur ajoutée. À fin août 2025, sur les 252.700 tonnes exportées depuis le début de la campagne, seulement 14,7% étaient conditionnées, contre 13,2% l’année précédente. L’huile d’olive biologique conditionnée ne représente que 6,1% du total des exportations bio. Ces chiffres illustrent l’urgence de mettre en place des stratégies de valorisation, notamment via le conditionnement, le marketing territorial et la certification qualité.
Les experts du secteur soulignent la nécessité d’une refonte globale de la stratégie oléicole tunisienne. Il ne s’agit plus seulement de produire, mais de transformer, valoriser et diversifier les débouchés. Cela implique d’améliorer les infrastructures de stockage, de moderniser les huileries, de former les producteurs à la qualité et à la traçabilité, et de mener une diplomatie économique plus active afin de conquérir de nouveaux marchés.
En mobilisant tous les acteurs publics et privés autour d’une vision commune, la Tunisie peut transformer ce secteur en levier de croissance durable.
L’heure est à l’action. La filière oléicole tunisienne mérite un accompagnement stratégique, une gouvernance agile et des investissements ciblés pour faire de l’huile d’olive un fleuron national, reconnu et valorisé à l’échelle mondiale.
Des mesures exceptionnelles
Pour accompagner cette dynamique exportatrice et consolider la filière sur le plan national, des mesures concrètes de soutien aux producteurs ont été mises en place.
Pour soutenir les petits producteurs, la Banque tunisienne de solidarité (BTS) a mis à disposition 40 millions de dinars, contre 20 millions la saison précédente. Ces crédits visent à couvrir la récolte, le transport, le pressage et l’entretien des oliviers, avec des conditions attractives. Des prêts allant jusqu’à 15.000 dinars pour les petits producteurs et 20.000 dinars pour les membres de structures professionnelles. Le montant minimum de prêt est de 3.000 dinars.
Pour stabiliser le marché, plusieurs mesures sont prévues dont le financement des opérateurs du secteur. En effet, l’Office national de l’huile (ONH) intervient pour acheter certaines quantités de production avec une garantie bancaire de l’État, et une mise en place d’un stock de réserve de 100.000 à 150.000 tonnes pour équilibrer l’offre et la demande.
À l’international, la part de l’Europe dans les exportations tunisiennes baisse de 68 % à 58%, tandis que les ventes vers l’Amérique latine, l’Asie et le Royaume-Uni connaissent une progression notable.
Moez Ben Omar, directeur général de l’Office national de l’huile, ne cesse de rappeler que la Tunisie s’attache à renforcer la valeur ajoutée de son huile d’olive, notamment via l’augmentation des volumes conditionnés et biologiques, l’amélioration des stratégies de commercialisation et le maintien de la position de leader mondial de l’huile d’olive biologique. Le défi reste de valoriser ce succès national, d’étendre sa présence sur les marchés mondiaux.