Diplomatie et sécurité en Méditerranée : La Tunisie trace sa ligne rouge et appelle à un pacte partagé
Au cœur des tensions migratoires en Méditerranée, la Tunisie refuse de devenir un simple pays de transit. Entre solidarité et limites structurelles, elle appelle l’Europe à un nouveau pacte fondé sur la coresponsabilité et à repenser la migration, non plus comme une menace, mais comme une opportunité partagée.
La Presse — Le ministre des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’étranger, Mohamed Ali Nafti, a reçu, jeudi 2 octobre, la commissaire européenne chargée de la Méditerranée, Dubravka Šuica, pour une rencontre axée sur le renforcement du partenariat tuniso-européen, en amont de la 16e session du Conseil d’association Tunisie-UE prévue fin octobre.
Au cœur des échanges, la coopération bilatérale dans les domaines économique, scientifique, culturel et migratoire.
Sur ce dernier point, la Tunisie a affiché une position ferme. Le ministre a réaffirmé le refus catégorique de voir son pays transformé en «terre de transit ou de séjour pour les migrants irréguliers», appelant à une approche rénovée où la migration légale devient un levier de création de richesse et de prospérité partagée.
Un appel à un «nouveau pacte méditerranéen»
Dans une déclaration conjointe, Mohamed Ali Nafti a souligné que ce partenariat doit reposer sur le respect mutuel, la réciprocité et la reconnaissance des choix souverains de la Tunisie.
Il a appelé à l’élaboration d’un «nouveau pacte pour la Méditerranée», un cadre stratégique capable de renforcer la paix et la sécurité régionales, tout en tenant compte des spécificités et des réalités des pays du sud.
De son côté, Dubravka Šuica a mis en avant le soutien de l’Union européenne à plus de 400.000 emplois en Tunisie et aux opportunités offertes à sa jeunesse. Elle a confirmé que le futur pacte méditerranéen serait accompagné de programmes d’action concrets, à court et moyen terme, reposant sur une compréhension mutuelle et des objectifs partagés.
La Tunisie à la tête de l’Initiative «5+5 Défense»
Parallèlement, Tunis a accueilli la 17e réunion des chefs d’état-major des armées des pays membres de l’Initiative «5+5 Défense», sous présidence tunisienne. Cette instance, regroupant cinq pays du Maghreb (Tunisie, Maroc, Libye, Algérie, Mauritanie) et cinq pays d’Europe du Sud (France, Italie, Espagne, Portugal, Malte), œuvre à renforcer la sécurité en Méditerranée occidentale.
Dans son allocution, Habib Dhif, directeur général de l’Agence de renseignement et de sécurité pour la défense, a rappelé l’importance de la coopération face aux défis communs : terrorisme, crime organisé transfrontalier, migration irrégulière et sécurité maritime. La réunion s’est conclue par une déclaration réaffirmant l’engagement des États membres à développer leurs mécanismes de coopération militaire et à consolider la paix et la sécurité régionales.
Migrants, entre solidarité et limites structurelles
Au-delà de la diplomatie, la question migratoire demeure un enjeu sensible pour la Tunisie. Le pays n’a jamais failli à son devoir humanitaire. L’exemple le plus marquant reste l’accueil, en 2011, de près de deux millions de réfugiés libyens fuyant la guerre. Cet élan de solidarité avait alors démontré la capacité des Tunisiens à se mobiliser dans l’urgence et à partager leurs ressources, malgré leurs propres difficultés.
Aujourd’hui encore, la Tunisie s’efforce de traiter avec dignité les migrants irréguliers, essentiellement subsahariens, qui échouent sur son territoire dans le but de rejoindre l’Europe. Des dispositifs d’accueil et d’assistance d’urgence sont mis en place, mais les moyens du pays sont limités. La prise en charge médicale, sociale et sécuritaire dépasse largement ses capacités financières et logistiques.
De plus, seule une infime partie des migrants accepte volontairement un retour assisté dans leur pays d’origine. La majorité demeure dans une situation précaire, exposée aux réseaux de passeurs, à l’exploitation et aux risques pour leur propre sécurité. Cette réalité représente également un défi pour la stabilité intérieure de la Tunisie, qui doit trouver un équilibre entre sa vocation humanitaire et la préservation de ses intérêts nationaux.
Vers une responsabilité partagée
La Tunisie veut réaffirmer ainsi qu’elle ne peut assumer seule ce fardeau. Les flux migratoires qui traversent son territoire dépassent ses capacités, déjà mises à rude épreuve par des contraintes économiques et sociales internes. C’est pourquoi elle appelle ses partenaires méditerranéens et européens à bâtir une approche collective et équitable, où la responsabilité est véritablement partagée.
Derrière cette position, il y a une idée simple mais essentielle : aucun pays ne peut, à lui seul, porter le poids des crises migratoires. La Tunisie n’entend pas se dérober à son devoir de solidarité — elle l’a déjà prouvé par le passé — mais elle refuse que ce devoir se transforme en charge insurmontable. Elle plaide pour un modèle fondé sur la coresponsabilité, où chaque État contribue selon ses moyens, non pas en fermant les yeux sur la détresse humaine, mais en lui offrant des réponses durables.
Dans cette vision, la migration légale ne doit plus être perçue comme une menace, mais comme une chance. Une chance pour les jeunes à la recherche d’un avenir digne, une chance pour les pays d’accueil en quête de compétences, et une chance pour les pays de départ qui peuvent, grâce à leurs diasporas, nourrir leur développement. En d’autres termes, la migration peut devenir un vecteur de prospérité mutuelle, à condition d’être organisée, respectueuse et partagée.