Les trois artistes qui se sont distingués cette année sont: Chaima Ben Slimen, Nour Touati et Ehssen Driss. Leurs propositions nourries de références pop ne se contentent pas de ressusciter le passé : elles tentent de le réinventer, en recomposant ses codes visuels, ses mythologies et ses émotions.
La Presse — Depuis son ouverture, la TGM Gallery a créé un prix consacré à des artistes émergents issus de divers horizons, écoles des beaux-arts, d’architecture, autodidactes ou autres formations. Devenu au fil des années un rendez-vous incontournable du paysage artistique tunisien, le Prix des jeunes artistes s’articule, chaque année, autour d’un thème, prétexte à l’exploration, à la réinterprétation, à la mise en récit du monde à travers des regards neufs.
Pour cette 4e édition, la galerie TGM a choisi de remonter le temps vers une décennie charnière : les années 1990. Un thème foisonnant, chargé d’images et de sons, qui se prête à toutes les hybridations plastiques. Les 19 artistes participants, pour la plupart issus de la génération Z, s’y sont engouffrés avec une grande curiosité, revisitant un passé qu’ils n’ont pas vécu mais dont les échos continuent de modeler leur imaginaire collectif.

Nés, dans leur majorité, à l’ère des écrans et des réseaux, ces artistes « social natives » se distinguent par une grande aisance face au numérique, tout en revendiquant un besoin viscéral d’authenticité et une lucidité sociale. Ces tensions, entre virtuel et réel, distance et intimité, se cristallisent dans leurs œuvres.
Les créations de cette édition convoquent les symboles vibrants des nineties : le streetwear et le grunge, le minimalisme épuré, les couleurs saturées de la pop culture, les jeux vidéo et les objets cultes, pogs, CD deux titres, VHS, vidéo-clubs, vestiges d’un monde en pleine mutation. C’est dans ce sens que s’inscrit l’œuvre « Tetris » (aquarelle sur papier) de Chaïma Ben Slimen.
Un dispositif pictural en trompe-l’œil qui lie une époque à ses objets. Une archéologie quotidienne d’un passé où cassettes audio, consoles de jeux, téléviseurs à tube cathodique, ordinateur de bureau et autres vaisselles et ustensiles sont disposés dans des étagères appliquées à l’aquarelle dans une sorte d’hommage voire un requium à une matérialité de plus en plus révolue.
« Ce sont des objets qui transforment la surface en une archive visuelle vibrante, rappelant une époque avant la numérisation, où les objets matériels avaient un poids, un sens, une odeur », note l’artiste qui a déjà commencé à exposer depuis 2023 dans différentes galeries à Tunis, distillant un travail qui oscille entre expérimentation matérielle et recherche conceptuelle.
Les années 90 furent aussi celles de la révolution numérique: premiers ordinateurs personnels, courrier électronique, naissance du World Wide Web. Autant d’outils qui allaient bouleverser nos manières de communiquer et de créer. Sur le plan politique, la fin de la guerre froide, l’effondrement du bloc de l’Est ou la guerre du Golfe marquaient la fin d’un siècle et l’ouverture d’un autre.
Mais cet aspect de l’histoire semble avoir glissé au second plan dans les préoccupations des artistes participants, qui lui ont préféré une lecture plus sensorielle, culturelle et intime de la décennie. Les propositions nourries de références pop ne se contentent pas de ressusciter le passé : elles tentent de le réinventer, en recomposant ses codes visuels, ses mythologies et ses émotions.
C’est le cas du triptyque «L’ordinateur» de Nour Touati, où la mémoire technologique devient matière poétique, miroir d’une époque fascinée par sa propre modernité. A la manière d’un dessin analytique, il met à nu les rouages sociaux de cette mécanique en intégrant différentes figures et autres situations.
L’ordinateur, Nour le démonte au sens propre comme au figuré pour illustrer un univers métaphorique digne d’un Lewis Caroll où l’humain, gobé par la machine, devient un de ces tout petits éléments qui la composent… Chez Mootaz Nouili, la couleur devient langage. Il s’attache à en explorer les nuances, les vibrations, les éclats qui ont façonné l’esthétique des années 1990.
Dans son travail, elle se fait abstraite, se décompose en pixels — ces minuscules unités de lumière qui composent toute image numérique — pour évoquer une époque où la technologie commençait à redéfinir notre rapport au visible.

Chaque teinte semble ainsi réactiver la mémoire chromatique d’un temps révolu, celui des premiers écrans et des palettes saturées. Côté photographie, cette édition révèle quelques remarquables propositions, comme celle d’Amira Chihaoui qui explore le contraste entre digital et analogique.
En faisant dialoguer deux ères par le biais de procédés numériques, elle crée une mémoire recomposée et interroge la trace, la reproduction et l’illusion, jusqu’à créer un artefact du temps. De son côté, Abdelhakim Guerfel, avec sa série sépia « Still Blooming», revisite les années 90 à travers un ensemble d’éléments et autres bribes métonymiques.
Ses compositions minimalistes s’apparentent à des abstractions poétiques, où l’image se fait matière de mémoire, empreinte d’un passé diffus et fragile. Cette 4e édition du Prix des jeunes artistes s’est conclue par la remise de trois distinctions : Premier prix: Chaïma Ben Slimen Deuxième prix : Nour Touati
Troisième prix : Ehssen Driss