Économie méditerranéenne : La Tunisie, terre d’innovation et de leadership féminin
Portée par des réformes structurantes et un vivier de talents exceptionnel, la Tunisie s’impose aujourd’hui comme l’un des pôles les plus dynamiques de l’entrepreneuriat féminin en Méditerranée. Du numérique aux industries de pointe, les Tunisiennes ne se contentent plus d’accompagner l’économie, elles la réinventent, redessinent ses fondations et insufflent une vision plus inclusive et plus résiliente.
La Presse — C’est dans cet esprit qu’a été ouvert le congrès du Conseil international des femmes entrepreneures (Cife), tenu à Tunis du 18 au 20 novembre 2025. En inaugurant l’événement, la ministre de l’Industrie, des Mines et de l’Énergie, Fatma Thabet Chiboub, a révélé des chiffres marquants : l’entrepreneuriat féminin numérique a progressé de 35 % en cinq ans, et 40% des startups créées depuis 2020 comptent une femme parmi leurs cofondatrices. Ces données traduisent une transformation profonde où, selon elle, «lorsque les femmes avancent, la société entière progresse».
Un terreau éducatif et législatif fertile
Cette dynamique remarquable s’inscrit dans un cadre institutionnel et éducatif unique en Méditerranée. Depuis plusieurs décennies, la Tunisie a fait de l’égalité un pilier de sa modernisation économique. Les résultats sont visibles : les femmes représentent 60% des diplômés universitaires, et dans certaines filières d’ingénierie ou de technologies avancées, elles atteignent jusqu’à 72% des diplômés.
Elles sont également à la tête de 25% des entreprises tunisiennes, un chiffre qui dépasse nettement la moyenne régionale et rapproche la Tunisie des pays européens les plus avancés sur la question, comme l’Espagne. Ce cumul de progrès législatifs et de performances académiques a fait émerger un écosystème où les femmes disposent d’un accès réel à la formation, à la responsabilité et à l’innovation. Un atout rare dans la région, régulièrement souligné dans les rapports européens et méditerranéens.
L’industrie, un secteur en pleine mutation féminine
Cette progression se reflète avec force dans l’industrie, un secteur en transformation profonde. Les femmes y occupent une place grandissante dans la main-d’œuvre, mais également dans les fonctions de direction. Elles sont aujourd’hui présentes dans plusieurs branches manufacturières stratégiques et dirigent plus de 500 entreprises industrielles.
Leur influence est particulièrement marquée dans les industries d’avenir, pharmacies, biotechnologies, dispositifs médicaux, textiles techniques, où elles assurent plus de 30% des responsabilités de direction.
À l’échelle maghrébine, la Tunisie se distingue par un fait majeur : les femmes sont impliquées à toutes les étapes de la chaîne de valeur industrielle, de la conception à l’innovation, en passant par la gestion et l’export. C’est une singularité qui explique en partie la vitalité de l’industrie nationale.
Les nouveaux terrains de conquête féminine
La transition énergétique et les technologies de pointe constituent un autre champ où les Tunisiennes s’imposent avec une remarquable assurance. Elles représentent 30% des nouveaux ingénieurs spécialisés dans les énergies renouvelables, un pourcentage particulièrement élevé en Méditerranée. Beaucoup d’entre elles dirigent des projets solaire, hydrogène ou efficacité énergétique en Afrique, en Europe ou au Moyen-Orient, donnant à la Tunisie une visibilité régionale notable dans les technologies propres.
Dans les hautes technologies, la montée en puissance est tout aussi significative. Les success stories féminines se multiplient dans des domaines comme la robotique, les matériaux intelligents, la healthtech et la deeptech. La Tunisie figure ainsi parmi les rares pays du Sud méditerranéen où les femmes sont fortement représentées dans les métiers Stem, un atout stratégique pour l’attraction d’investissements étrangers.
Le leadership féminin, une question de souveraineté nationale
Pour Fatma Thabet Chiboub, la promotion du talent féminin n’a plus seulement une dimension sociale, elle devient un impératif de souveraineté industrielle, énergétique et technologique. «Une économie forte mobilise tous ses talents», rappelle-t-elle, soulignant que les compétences féminines constituent une richesse nationale essentielle dans un contexte mondial où la compétitivité repose de plus en plus sur l’innovation et la diversité.
Le congrès du Cife s’inscrit dans cette vision ambitieuse. Sa présidente, Rachida Jebnoun, insiste sur l’importance de transformer les débats en actions, afin d’élaborer une gouvernance plus inclusive à l’échelle régionale. L’objectif est de faire de la Méditerranée un espace où les femmes entrepreneuriales jouent un rôle structurant dans la croissance.
Des obstacles persistants mais des solutions émergentes
Malgré l’élan, les obstacles restent nombreux. L’accès au financement demeure le principal frein, puisque seules 8% des entrepreneures obtiennent un crédit bancaire classique, et à peine 2% accèdent au capital-risque. Cette réalité, partagée dans l’ensemble de la Méditerranée, tient autant à la persistance de biais qu’à la faible présence féminine dans les comités d’investissement et les réseaux d’affaires.
À cela s’ajoute la charge mentale, qui reste considérablement plus lourde pour les femmes. En Tunisie, elles consacrent quatre fois plus de temps que les hommes aux tâches domestiques, un poids invisible qui freine leur disponibilité et leur progression entrepreneuriale. Leur moindre présence dans les sphères d’influence économiques — réseaux, clubs d’affaires, médias spécialisés — réduit également leur accès aux opportunités de partenariat et de financement.
Mais de nouveaux leviers émergent pour contourner ces freins. Le financement participatif dédié aux projets féminins connaît une croissance soutenue et offre des alternatives crédibles au système bancaire traditionnel. Les programmes internationaux de mentorat, à l’image de «She Leads Tech», offrent une formation technique, un accompagnement stratégique et une mise en relation avec des investisseurs plus ouverts à la diversité. Plusieurs initiatives régionales encouragent aussi une meilleure intégration des femmes dans les chaînes de valeur méditerranéennes.
Vers une feuille de route méditerranéenne
Derrière les discours et les statistiques présentés à Tunis, une conviction s’impose ; l’avenir économique de la Méditerranée aura le visage de ses femmes. La Tunisie ouvre la voie, non comme un cas isolé, mais comme un signal fort envoyé à l’ensemble des pays riverains. L’égalité n’est plus un objectif moral, elle devient un levier de compétitivité, de stabilité et d’intégration.
De Casablanca à Barcelone, de Palerme à Beyrouth, les trajectoires se rejoignent : il ne s’agit plus pour les femmes de réclamer une place, mais d’assumer pleinement leur rôle de moteur. La feuille de route existe. L’enjeu est désormais de nourrir cet élan, de consolider les acquis et d’amplifier les partenariats régionaux pour faire du leadership féminin une norme, et non une exception. Un souffle commun, capable de transformer durablement l’économie méditerranéenne.