Chroniques de la Byrsa : L’eau, de Charybde en Scylla
La Presse — J’ai une fois saisi au vol—était-ce sur une radio dans un taxi ? — que le Tunisien était actuellement le plus gros consommateur mondial d’eau minérale, loin devant, par exemple, le Français, pourtant détenteur depuis des siècles de la «culture» de l’eau minérale sous toutes ses formes. Certains penseront qu’il y a de quoi être fier d’une évolution qui dénoterait à la fois un souci d’hygiène grandissant et de remarquables progrès de notre niveau de vie pour nous conférer un tel rang.
Je me souviens en effet que, dans les années de ma jeunesse, l’eau minérale était pour ainsi dire réservée aux nourrissons pour diluer le lait en poudre qu’ils prenaient dans leur biberon, à certaines catégories de malades et à des fortunés pour faire étalage de leur richesse. L’eau naturelle pétillante— n’en divulguons pas la marque pour ne pas faire de publicité clandestine— était occasionnellement consommée, un peu comme une curiosité, un peu comme une friandise.
Que s’est-il passé entretemps pour qu’intervienne une telle évolution ? Malheureusement pas le progrès économique et social qu’on pourrait soupçonner au premier abord mais bien plutôt la dégradation de la qualité de l’eau du robinet dont les chansons avaient jusque-là glorifié la supposée origine zaghouanaise— ce qui était évidemment faux-—, 100% naturelle et exquise. Pire, cette eau provenant majoritairement des retenues de barrages a même atteint par moments les limites de la salubrité, en particulier en périodes de sécheresse. Ce qui a contraint le consommateur, même les plus démunis d’entre eux, à recourir à l’eau minérale.
Il n’est pas question de faire ici le procès de quiconque pour de tels développements. Les opérateurs dans le secteur des eaux ne sont pas responsables des changements climatiques et de leurs conséquences, en particulier sur les réserves d’eaux naturelles à usage alimentaire. Par contre, une interpellation doit être adressée aux fournisseurs d’eau minérale ainsi qu’à ses distributeurs.
Les méfaits du plastique ne sont plus aujourd’hui à démontrer. Le consensus à ce sujet est planétaire, conduisant même un nombre grandissant de pays à en interdire l’usage comme emballage non seulement à cause de ses nuisances environnementales mais également pour ses incidences sur la santé du consommateur.
Il est en effet maintenant établi que de la matière plastique se dissout dans le liquide contenu dans l’emballage sous forme de nanoparticules totalement invisibles à l’œil nu et qui vont voyager avec ce liquide dans les différentes parties du corps du consommateur et lui causer des dommages plus ou moins graves.
De surcroît, le processus de génération de ces nanoparticules s’accélère avec l’exposition au soleil du produit proposé à la consommation. C’est pourquoi une telle exposition a été formellement interdite par la tutelle, surtout lorsque l’emballage est «neutre», sans coloration protectrice pour filtrer les rayons du soleil. Or, que voyons-nous ? Des montagnes de bouteilles d’eau minérale transportées ou stockées sans aucune de ces précautions. Au vu et au su de toutes les autorités.
Alors fuir la médiocrité de l’eau du robinet pour plonger dans les risques de son alternative ? Est-ce normal ?