Selon un papier publié sur le blog de l’IACE intitulé « Quand le protectionnisme paye », le nouveau contexte économique mondial est marqué par le retour en force des politiques industrielles, incitant des nations comme la Tunisie à envisager un protectionnisme sélectif et ciblé, suivant l’exemple des résultats tangibles observés aux États-Unis. Les mesures protectionnistes américaines, introduites par le Président Trump, commencent à porter leurs fruits, les dernières statistiques du Département du Commerce révélant une croissance du PIB de 3,8 % au deuxième trimestre, dépassant les estimations initiales de 3,3 % (taux annualisé).
Ce rebond, qui contraste fortement avec le taux de -0,6 % enregistré au premier trimestre, s’accompagne d’une observation d’une croissance des achats locaux de biens d’équipement, d’une baisse des demandes d’allocations de chômage, et d’un raffermissement du taux de change du dollar. L’objectif de ces mesures est clair : accroître la production et les bénéfices des entreprises locales, même si cela implique des coûts supérieurs aux importations, favorisant ainsi les producteurs locaux par rapport à l’optique d’ouverture commerciale qui privilégie les prix bas pour les consommateurs.
Face à un déficit du commerce des biens ou marchandises atteignant 52 % en 2024 (les exportations ne couvrant que 48 % des importations), la Tunisie est confrontée à l’impossibilité de continuer à importer de manière effrénée sans un contrôle qualitatif et quantitatif ciblé. Les déficits commerciaux avec la Chine, atteignant 48 % du déficit total en 2024, et la Turquie (15 %) sont particulièrement notables.
La Tunisie pourrait s’inspirer de ce modèle en adoptant deux axes stratégiques principaux : la substitution aux importations et la réinstauration de la politique de compensation commerciale.
Premièrement, l’adoption d’une politique de substitution aux importations devrait cibler certains secteurs industriels dont l’accès est aisé, soit parce qu’ils l’étaient déjà par le passé (industries mécaniques et électriques, industries de matériaux de construction), soit parce qu’ils sont devenus technologiquement faisables de nos jours. La nomenclature douanière permet d’identifier 19 postes ou filières sujettes à substitution par la production locale, incluant notamment les produits de pharmacie, les ouvrages en bois, en fer-acier, les meubles et les jouets. Une telle orientation exige une politique industrielle étatique qui doit encadrer, supporter et subventionner certaines activités, à l’instar de ce qui a été fait en Tunisie dans le programme de mise à niveau du siècle dernier et aux USA cette décennie. Pour réussir, ces mesures doivent être bien étudiées et appliquées sur une période limitée, accompagnées de réformes économiques visant à réduire les surcoûts subis par les producteurs locaux, notamment les coûts de financement élevés, la logistique exorbitante et la lenteur administrative.
Deuxièmement, la réinstauration d’une politique de compensation commerciale, similaire à celle des années 90, obligerait les importateurs de certains produits à exiger de leurs fournisseurs des achats locaux, augmentant ainsi les exportations nationales. Ce mécanisme pourrait s’appliquer notamment aux importations de voitures et véhicules de transport ainsi qu’aux articles d’habillement textile et cuir. Par exemple, les importations de voitures de tourisme et de transport ont atteint 4,8 milliards de DT en 2024. Les importateurs peuvent être contraints d’exporter des pièces de rechange vers leurs fournisseurs, une pratique que les concessionnaires de marques européennes appliquaient déjà depuis des décennies. Cette clause est particulièrement pertinente pour inciter les nouveaux concessionnaires de marques asiatiques, en croissance rapide, à s’approvisionner en pièces de rechange locales.
Toutefois, ce choix comporte l’inconvénient de prix potentiellement plus élevés pour les produits offerts, sans garantie nécessaire de qualité. L’avantage réside dans la promotion de la production, de l’emploi et d’une croissance économique supérieure. Étant donné que la Tunisie a longtemps suivi une politique d’ouverture commerciale, des réactions de la part de pays partenaires, notamment ceux avec qui la Tunisie est liée par des accords de coopération comme l’Union Européenne (UE), sont attendues.
Il est donc crucial que les mesures protectionnistes soient sélectives (par branches d’activité) et non générales, privilégiant les mesures qualitatives (conformité aux normes, formes de financement) sur les mesures quantitatives (taxes). Cette approche progressive permettrait d’éviter des contradictions avec les clauses des accords d’association et de se concentrer principalement sur les produits importés d’Asie (Chine, Turquie).
Pour accomplir son triple rôle de croissance, de durabilité et d’équité, l’État tunisien doit donner la priorité aux politiques industrielles sectorielles et aux mesures méso- et microéconomiques, dans un cadre de stabilité macroéconomique soutenu par des politiques fiscales et monétaires rigoureuses.