Pérenniser, innover, exporter : La feuille de route de l’automobile tunisienne
La Tunisie, longtemps perçue comme un marché émergent, s’affirme aujourd’hui comme un acteur clé de l’industrie automobile en Afrique du Nord et dans la région euroméditerranéenne.
Avec près de 300 entreprises, 120.000 emplois et 3,9 milliards d’euros d’exportations, le pays démontre sa capacité à produire des composants automobiles de haute technologie, tout en attirant les investisseurs internationaux et en préparant l’avenir de la mobilité électrique et connectée.
La Presse — La Tunisie confirme son rôle stratégique dans le secteur automobile, et plus particulièrement dans la production de composants. Avec près de 300 entreprises actives et 120.000 emplois, le secteur est devenu un véritable moteur économique, générant près de 3,9 milliards d’euros d’exportations par an, dont 37% à destination de l’Allemagne, 21 % vers la France, 12 % vers la Roumanie et 11% vers l’Italie.
La performance de ce secteur est soutenue par un capital humain qualifié, une proximité logistique avec l’Europe, des coûts compétitifs et une montée en puissance de l’ingénierie, du software et de la R&D, qui positionnent la Tunisie sur la chaîne de valeur de la voiture intelligente et connectée.
Cette dynamique a été au cœur de la formation & eductour intitulée “Immersion au cœur du secteur automobile en Tunisie”, organisée du 17 au 19 décembre 2025 par le ministère de l’Industrie, des Mines et de l’Énergie, la Tunisian Automotive Association (TAA) et la GIZ, à destination d’un groupe de journalistes issus de divers médias.
La formation a permis d’approfondir les connaissances sur les enjeux, les réussites et les perspectives du secteur, avec des visites de terrain et des interventions d’experts. Les participants ont ainsi pu découvrir Eniso Sousse, le Novation City Incubator, ainsi que des sites industriels majeurs tels que Dräxlmaier et TPS Plastivaloire, puis à Bizerte, PSZ Electronic, à Ghezala, illustrant l’ensemble de l’écosystème automobile tunisien.
A cette occasion, la ministre de l’Industrie, Madame Fatma Thabet Chiboub, a souligné le rôle stratégique des médias pour valoriser le secteur des composants automobiles et mettre en avant ses atouts aux niveaux national et international.
“Ce secteur renforce le positionnement de la Tunisie dans la région euro-méditerranéenne et en Afrique. Le ministère, en coordination avec tous les acteurs concernés, veille à attirer de grandes entreprises, développer de nouveaux projets, créer des emplois supplémentaires et accroître la compétitivité du secteur”, a-t-elle déclaré, tout en ajoutant que le secteur continue de croître pour accompagner les évolutions mondiales, notamment la transition vers les énergies propres et les véhicules électriques.
Un écosystème industriel attractif
Pour Brahim Debbache, expert secteur automobile, le secteur des composants automobiles est aujourd’hui l’une des pierres angulaires de l’industrie nationale. Il contribue significativement à l’emploi et aux investissements, directs comme indirects.
Selon lui, la Tunisie a su créer un écosystème industriel attractif, grâce à des lois incitatives et des infrastructures qualifiées, capables de séduire de grandes entreprises étrangères tout en soutenant les acteurs locaux.
“Avec plus de 120.000 emplois et environ 300 entreprises, le secteur est l’un des plus gros employeurs industriels du pays et un acteur essentiel de la balance commerciale nationale. Les exportations élevées témoignent de sa compétitivité et de sa capacité à intégrer les chaînes de valeur mondiales”, a-t-il assuré, tout en ajoutant que la Tunisie possède plusieurs atouts distinctifs qui renforcent l’attractivité de son industrie automobile.
Selon M. Debbache, la proximité géographique avec l’Europe offre des délais logistiques compétitifs. Par ailleurs, le capital humain tunisien, avec ses ingénieurs et techniciens qualifiés, est capable de répondre aux exigences des constructeurs internationaux. Les entreprises locales ont adopté des technologies avancées et la transition vers l’industrie 4.0, intégrant l’ingénierie, le software, et la R&D.
Le pays avance également sur le terrain de la mobilité électrique et des énergies vertes, offrant des perspectives de croissance dans les nouvelles mobilités. Finalement et non moins important, le cadre réglementaire, renforcé par la loi 72, favorise les investissements étrangers et locaux, consolidant la Tunisie comme un hub industriel de référence.
Un avis partagé par Slim Ferchichi, ingénieur général et directeur des industries métalliques, mécaniques, électriques et des matériaux de construction au ministère de l’Industrie, qui a affirmé que le secteur automobile tunisien est l’un des plus prometteurs et stratégiques du pays.
Selon M. Ferchichi, avec 300 entreprises, dont 50 % à participation étrangère, la Tunisie occupe aujourd’hui la deuxième place en Afrique pour la production et l’exportation de composants automobiles, attirant à la fois des multinationales et soutenant des entreprises locales implantées à l’international.
Le directeur a insisté sur la valeur ajoutée et les compétences locales, soulignant que les capacités industrielles et technologiques tunisiennes permettent même d’envisager l’implantation d’un constructeur automobile dans le pays.
“La Tunisie se prépare également à la mobilité électrique, avec des incitations financières et fiscales pour soutenir infrastructures et innovations”, a-t-il précisé, tout en soulignant l’importance de simplifier les procédures administratives et d’améliorer la logistique afin de soutenir les investisseurs et renforcer la compétitivité du secteur.
Témoignages et… success stories
Le groupe Dräxlmaier, multinationale allemande fondée en 1958, a implanté son premier site international à Ksibet Sousse en 1974. Aujourd’hui, il compte 8 sites en Tunisie et emploie 10 600 personnes, dont la majorité sont des femmes.
Selon Morched Ben Hamad, Plant Manager, et Jihene Ben Amor, Head of Corporate Communication, le groupe est leader dans les segments électrique et intérieur, avec des projets d’extension dans la production de composants. Dräxlmaier mise sur la fidélisation et le sentiment d’appartenance, un facteur clé de son succès. L’entreprise illustre parfaitement la montée en gamme industrielle tunisienne et l’intégration dans les chaînes de valeur mondiales du premium automobile.
Pour Chakib Debbabi, DG de Plastivaloire, le groupe se distingue par son expertise en injection plastique, assemblage et décoration, produisant jusqu’à 2 000 articles par jour. En Tunisie, l’entreprise dispose de 3 sites, 850 employés et plus de 60 ingénieurs et techniciens. Plastivaloire illustre la compétitivité du savoir-faire tunisien, capable de rivaliser avec l’Asie et de surpasser des concurrents régionaux comme le Maroc, tout en respectant les normes strictes des constructeurs internationaux.
De son côté, Actia conçoit, fabrique et exploite des solutions électroniques pour la mobilité terrestre, l’aéronautique, le spatial et l’énergie, intégrant connectivité, sécurité et durabilité. Présent dans 16 pays avec plus de 4 000 collaborateurs, dont 1 450 ingénieurs et techniciens, le Groupe investit chaque année 14 à 18 % de son chiffre d’affaires en R&D. Cette maîtrise complète de la conception et de la production garantit qualité, innovation et performance pour ses clients.
En effet, les sociétés présentes en Tunisie ne cessent de démontrer leur excellence dans notre pays mais aussi à l’international. Et les noms cités ne sont que quelques exemples parmi une longue liste de réussites qui font la fierté du pays.
Aujourd’hui, tous les professionnels du secteur le confirment : aucune voiture circulant en Europe ne peut être produite sans qu’au moins un de ses composants ait été fabriqué en Tunisie, témoignant de la qualité, de l’expertise et de la compétitivité des acteurs locaux sur les chaînes de valeur mondiales.
Sécuriser l’existant et investir dans l’ingénierie
Mais après plusieurs décennies de croissance soutenue, le secteur automobile tunisien se trouve aujourd’hui à un point d’inflexion stratégique.
Selon Sabri Brahem, membre du comité directeur de la TAA et responsable régional des ressources humaines chez Dräxlmaier, le modèle historique fondé sur l’industrie de masse orientée vers l’exportation atteint sa maturité et montre des signes de saturation, nécessitant une réévaluation des priorités sectorielles.
Le responsable a indiqué que le développement du secteur s’est largement appuyé sur les objectifs initiaux de la loi 72 : renforcer les exportations industrielles et absorber massivement la main-d’œuvre tunisienne. Ces objectifs sont aujourd’hui atteints : le secteur est un moteur de l’emploi, un pilier des exportations et un acteur majeur de la création de valeur industrielle, soutenu par plus de 40 ans de formation et de développement des compétences.
Comparé à ceux des pays concurrents comme le Maroc ou l’Égypte, le tissu industriel tunisien s’est structuré de manière solide et compétitive.Cependant, le secteur fait face à une saturation, notamment pour les profils ouvriers.
“Plusieurs facteurs expliquent cette situation : une baisse du taux de natalité réduisant l’offre de main-d’œuvre, des besoins très élevés par unité de production pouvant atteindre 9 000 ouvriers par usine, et la concurrence accrue internationale, exacerbée par la demande post-Covid-19. Cette tension remet en question la soutenabilité du modèle intensif en main-d’œuvre”, a-t-il expliqué.
Il a ajouté que la Tunisie exporte près de 90 % de sa production automobile vers l’Europe, un marché confronté à des difficultés économiques et industrielles, des incertitudes réglementaires autour de la fin des motorisations thermiques en 2035, et une visibilité à court terme réduite. Cette instabilité impacte directement la planification et la prévisibilité historiques du secteur tunisien.
Dans ce même cadre, Sabri Brahem insiste sur un impératif clair : préserver et stabiliser l’appareil industriel existant. L’objectif n’est plus l’expansion rapide, mais la capacité à maintenir durablement la production actuelle sur un horizon de 9 à 10 ans, afin de traverser cette période de transition mondiale sans érosion du tissu productif. Parallèlement, l’ingénierie et le design automobiles constituent une opportunité stratégique majeure.
La Tunisie s’est imposée comme destination crédible pour le design automobile, l’ingénierie logicielle et le développement de solutions techniques pour des marchés mondiaux. La hausse des coûts dans les pays développés, combinée à la qualité du capital humain tunisien, favorise cette évolution. Chaque année, 8.000 à 10.000 ingénieurs sont formés dans le pays, représentant un atout compétitif majeur.
“Certaines multinationales ont déjà amorcé cette transition en implantant de petits noyaux d’ingénieurs en Tunisie. L’enjeu est aujourd’hui de changer d’échelle, structurer ce positionnement et attirer davantage d’acteurs internationaux. Cela nécessite une communication offensive sur le potentiel tunisien et un environnement propice à l’amélioration continue, indispensable dans un secteur soumis à une forte concurrence mondiale”, a-t-il encore précisé.
A cet égard, le secteur automobile tunisien ne peut plus se concevoir uniquement comme une industrie de masse. Sa pérennité repose sur sa capacité à sécuriser ses acquis industriels, capitaliser sur ses compétences humaines de haut niveau, et s’inscrire pleinement dans les chaînes de valeur mondiales de l’ingénierie et du design automobile. C’est à cette condition que la Tunisie pourra transformer les contraintes actuelles en leviers de compétitivité durable.
Ceci pour dire que le secteur se projette résolument vers l’avenir, porté par plusieurs initiatives phares. La Smart Automotive City, sur 300 hectares, intégrera usines, laboratoires R&D, centres de formation et espaces technologiques, avec un potentiel de 150.000 emplois à moyen et long terme. La transition vers les véhicules électriques et connectés représente une opportunité de valorisation de la production locale et d’innovation.Le Pacte pour la compétitivité de l’industrie automobile, signé entre acteurs publics et privés, vise à accroître les emplois et les exportations, tout en consolidant la montée en gamme des entreprises tunisiennes. Le secteur mise également sur le développement de l’ingénierie et des services à forte valeur ajoutée, notamment dans le software, le design et les composants électroniques.
Ainsi, l’industrie tunisienne des composants automobiles est aujourd’hui un secteur stratégique, combinant employabilité, exportations et innovation. Les entreprises locales et multinationales ont su tirer parti des atouts du pays, tout en relevant des défis liés à la main-d’œuvre, à la transition énergétique et à la concurrence internationale.
Et avec des projets structurants, une montée en gamme continue et un écosystème R&D dynamique, la Tunisie se positionne comme un hub incontournable de la mobilité du futur, capable de répondre aux exigences des marchés européens et internationaux et de contribuer activement à la voiture intelligente, connectée et durable.





