En cherchant à renforcer la sécurité des travailleurs, l’amendement Code du travail introduit une contrainte financière qui inquiète une partie du tissu économique. Les mesures destinées à protéger les salariés pourraient en effet transformer le quotidien des prestataires de services, notamment les petites entreprises déjà fragilisées.
Adoptée en mai 2025, la réforme interdit désormais la sous-traitance de main-d’œuvre et impose une titularisation généralisée, deux avancées saluées par les syndicats et les demandeurs d’emploi. Mais un arrêté publié en septembre ajoute une exigence lourde de conséquences : toute société de services doit déposer une garantie bancaire représentant 20 % de la valeur d’un contrat, dans les trois jours suivant sa signature. Cette somme, mobilisée en cas de défaillance de l’employeur, doit couvrir les salaires et cotisations sociales de ses employés.
En pratique, si une entreprise tarde à payer ses salariés, le client est tenu de le faire à sa place, avant de se rembourser grâce à la garantie bloquée. Le mécanisme paraît clair, mais son application soulève de sérieuses interrogations.
La base de calcul est l’un des points les plus controversés. La caution est fixée sur le montant global du marché, intégrant non seulement les rémunérations mais aussi les frais annexes, les matériaux et la marge. Or, dans de nombreuses prestations, la masse salariale ne représente qu’une fraction de ce total. Pour beaucoup d’acteurs économiques, cette formule revient à exiger un effort disproportionné.
Si les grandes entreprises disposent parfois de la surface financière nécessaire, les très petites et moyennes sociétés, qui constituent l’essentiel du tissu économique, risquent de se retrouver exclues de nombreux appels d’offres. Pour elles, immobiliser 20 % de la valeur d’un contrat revient à geler des liquidités vitales. Dans un contexte déjà marqué par des difficultés d’accès au crédit bancaire et par une trésorerie tendue, cette obligation pourrait se transformer en facteur d’éviction, voire de disparition pure et simple.
Le paradoxe est évident : une mesure pensée pour sécuriser les salariés risque de fragiliser les structures censées les employer. La volonté de protéger les droits sociaux se heurte à la réalité des équilibres financiers, surtout dans un secteur où les marges sont souvent étroites. La réforme illustre une tension classique entre ambition sociale et contraintes économiques.
L’avenir dira si ce dispositif s’avère tenable. Seule l’expérience de terrain permettra de mesurer sa soutenabilité et d’identifier d’éventuels ajustements. Les prochains mois constitueront un test grandeur nature pour savoir si la protection des travailleurs peut cohabiter avec la survie des entreprises de services, ou si le dispositif devra rapidement être revu.