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Justice : La chute d’un juge suprêmeet la fin de l’impunité

  • 1 novembre 17:30
  • 4 min de lecture
Justice : La chute d’un juge suprêmeet la fin de l’impunité


La condamnation sans précédent de Taïeb Rached, ancien premier président de la Cour de cassation, marque un tournant majeur pour la justice tunisienne. À travers sa chute, c’est tout un réseau d’influence mêlant magistrats et hommes d’affaires qui s’écroule, dévoilant les dessous d’un système où la justice se monnayait au plus haut niveau. Ce jugement restera comme l’un des plus marquants de l’histoire judiciaire du pays.

La Presse — Dans la nuit du 27 au 28 octobre 2025, la chambre criminelle spécialisée dans les affaires de corruption financière du tribunal de première instance de Tunis a condamné Taïeb Rached à 30 ans de prison, assortis d’une amende de 4,8 millions de dinars et de 935 millions de dinars de dommages et intérêts à verser à l’État tunisien.

Jamais auparavant un magistrat d’un rang aussi élevé n’avait été reconnu coupable et sanctionné aussi lourdement.

Ce verdict marque un tournant décisif car c’est pour la première fois que la justice tunisienne fait répondre l’un de ses plus hauts représentants devant la loi pour corruption systémique.

Un réseau tentaculaire au cœur du pouvoir judiciaire

Autour de Taïeb Rached, c’est un véritable système parallèle qui s’est écroulé, dévoilant l’ampleur d’un réseau de corruption mêlant magistrats et hommes d’affaires.

Ces derniers ont profité, durant des années, d’un trafic d’influence au plus haut niveau, où les décisions de justice se négociaient en catimini contre privilèges et sommes colossales.

Les peines prononcées sont à la hauteur du scandale. Abderrazek Bahouri et Marouane Tellili, deux magistrats révoqués, ont été condamnés à 20 ans de prison chacun.

Les hommes d’affaires Néjib Ismaïl et Fathi Jnayah, écopent respectivement de 27 et 30 ans de prison, assortis de confiscations dépassant 80 millions de dinars.

Au total, la cour a exigé des condamnés une réparation financière record de 935 millions de dinars au profit de l’État tunisien.

Un montant inédit, symbole d’une justice qui veut frapper fort pour tourner la page de l’impunité.

L’affaire remonte à 2018. Taïeb Rached, alors procureur général près la cour d’appel de Tunis, serait intervenu personnellement pour réduire la détention préventive de l’homme d’affaires Néjib Ismaïl, entraînant sa libération.

En 2019, devenu premier président de la Cour de cassation, il crée deux nouvelles chambres (n°35 et n°36) et y place ses fidèles juges Bahouri et Tellili.

Ces derniers rendront plusieurs décisions de cassation sans renvoi, effaçant purement et simplement des condamnations pour fraude douanière, évasion fiscale et blanchiment d’argent.

Les pertes pour le Trésor public sont estimées à près d’un milliard de dinars. C’est là un machiavélique mécanisme de blanchiment judiciaire.  

La justice reprend sa place

Taïeb Rached, longtemps supposé être le gardien du temple judiciaire, est devenu le symbole de son effondrement moral.

En 2020, lors d’une intervention télévisée maladroite, il avoue avoir mené des transactions immobilières pendant son mandat.

Ce moment d’arrogance précipite sa chute. On s’en souvient bien. La suite fut dramatique sur fond de suspension, levée d’immunité, puis une série de procédures pour corruption, abus de fonction, blanchiment d’argent et faux en écriture publique.

L’homme qui incarnait l’autorité judiciaire s’est retrouvé sur le  banc des accusés.

Le verdict du 28 octobre 2025 a indubitablement provoqué un véritable séisme dans le monde de la justice. 

Cette condamnation est perçue comme un signal fort signifiant que l’ère où les magistrats se plaçaient au-dessus de la loi semble révolue.

Elle marque aussi le retour d’une justice qui veut reconquérir sa crédibilité et rétablir la confiance du citoyen.

Elle illustre en particulier la volonté de l’État de restaurer la primauté du droit. Certes, le dossier pourrait faire l’objet d’un appel, mais le message est percutant.

La justice tunisienne n’est plus l’otage des puissants. La chute du juge suprême, entouré d’hommes d’affaires véreux et de complices, en est la preuve.

Samir DRIDI

Auteur

La Presse