gradient blue
gradient blue
Economie

Tribune – Dimension sociale dans les lois de finances : Entre volonté politique affichée et défaillance d’exécution

  • 2 novembre 17:50
  • 4 min de lecture
[addtoany]
Tribune – Dimension sociale dans les lois de finances : Entre volonté politique affichée et défaillance d’exécution


Par: Skander SALLEMI, conseiller fiscal

La dimension sociale occupe aujourd’hui une place centrale dans le discours budgétaire tunisien. Pourtant, l’absence d’indicateurs transparents, la faible exécution des programmes votés et l’érosion du pouvoir d’achat interrogent sur la cohérence entre ambition et réalités.

Un Etat social crédible exige transparence, mesure et reddition de comptes.

Certaines mesures grèvent le pouvoir d’achat

Depuis 2014, l’argument social est devenu incontournable dans les lois de finances tunisiennes. Chaque année, on promet justice sociale, protection des plus vulnérables et renforcement de la solidarité nationale.

Pourtant, derrière cette rhétorique, une réalité s’impose: le pouvoir d’achat du contribuable n’a cessé de se dégrader, sous l’effet de mesures fiscales présentées comme sociales.

L’article 53 de la loi de finances 2018 avait instauré une contribution sociale solidaire au profit des caisses sociales, significativement renforcée ensuite par la loi de finances 2023 avant d’être allégée pour les salariés.

Dans la même logique, la loi de finances 2025 instaure une contribution à la charge des salariés et employeurs pour financer une assurance contre le licenciement économique.

Parallèlement, les révisions de TVA, l’introduction de la taxe carbone et la hausse du droit de timbre ont aggravé la pression sur le pouvoir d’achat des ménages.

Devant cette orientation, peut-on qualifier une loi de finances de « sociale » lorsqu’elle réduit le revenu disponible des contribuables, y compris les plus modestes ?

2017 : le tournant fiscal qui a piégé les revenus moyens

Présentée comme un progrès social, la réforme du barème de l’impôt sur le revenu de 2017 a relevé la tranche exonérée du revenu des personnes physiques.

Mais deux mesures ont neutralisé cette mesure : les taux d’impôt appliqués aux autres tranches de revenus imposables ont été significativement augmentés.

Les frais professionnels déductibles à raison de 10 % du revenu imposable ont été plafonnés à seulement 2.000 dinars.

Résultat : les classes moyennes ont payé plus, et aujourd’hui même les salariés au Smig sont soumis à l’impôt.

En dix ans, le Smig a augmenté de 320 dinars à 528,320 dinars (+65 %), sans adaptation du barème ni déductions fiscales.

L’effet mécanique est clair : chaque hausse salariale est en partie absorbée par l’impôt, dans un contexte où l’inflation dépasse les augmentations des salaires.

Fiscalité patrimoniale : chaque impôt social pose la même question

Introduit en 2023 puis élargi dans le projet de loi de finances 2026, l’impôt sur la fortune devrait servir d’outil de redistribution.

Pourtant aucun chiffre n’est publié sur son rendement et aucune information n’est fournie sur l’affectation des recettes.

Il devient donc difficile d’évaluer l’efficacité d’un instrument dont l’Etat ne documente ni le produit ni l’usage.

L’Etat social exige des comptes

Le social ne peut être un slogan dans une loi de finances. Il repose sur des fondations concrètes : transparence des chiffres, équité réelle de l’effort fiscal, évaluation rigoureuse des dispositifs mis en œuvre, capacité administrative à exécuter les programmes adoptés et ajustement régulier des barèmes afin de préserver le pouvoir d’achat.

A défaut, la dimension sociale du budget devient un argument au service d’une ponction fiscale supplémentaire et non une politique publique fondée sur l’efficacité et la justice.

Problème de mise en œuvre des programmes sociaux

Une contradiction majeure apparaît entre le discours social, la pression fiscale et la réalité des finances publiques.

Le dernier rapport de la Cour des comptes met en lumière une sous-exécution des dépenses publiques, montrant que l’Etat n’engage pas pleinement les ressources qu’il prévoit.

Dans le même temps, deux dispositifs sociaux, pourtant adoptés dans la loi de finances 2025, à savoir le Fonds de protection des travailleuses agricoles et l’assurance contre la perte d’emploi pour des raisons économiques, n’ont pas été mis en œuvre à ce jour.

Ce constat illustre l’écart entre l’annonce des politiques sociales et leur réalisation concrète. La question devient alors légitime : le problème est-il budgétaire, administratif ou de gouvernance ? La volonté politique est affichée, mais l’exécution fait défaut.

Et  en l’absence de données publiques et d’indicateurs de suivi, il est impossible d’en mesurer l’impact, d’ajuster les dispositifs ou d’en assurer la crédibilité.

S.S.


N.B. : L’opinion émise dans cette tribune n’engage que son auteur. Elle est l’expression d’un point de vue personnel.

Auteur

La Presse