Alors que l’Afrique recèle l’un des plus vastes potentiels énergétiques au monde, le continent demeure confronté à un paradoxe criant : une abondance de ressources, mais des millions de citoyens toujours privés d’électricité. Le nouveau rapport du « Tabc » révèle comment les corridors énergétiques pourraient enfin transformer ce potentiel inexploité en moteur de souveraineté, d’intégration régionale et de croissance durable.
La Presse — Le Tunisia Africa Business Council (Tabc) vient de dévoiler un rapport exclusif sur le potentiel des corridors énergétiques en Afrique. La présentation en avant-première de l’étude intitulée « Les corridors énergétiques en Afrique : clé de la transition écologique et de l’intégration régionale » s’est déroulée récemment au siège de l’organisation, en présence du secrétaire d’Etat chargé de la Transition énergétique, Ouael Chouchen, ainsi que d’ambassadeurs de plusieurs pays africains.
Fruit de deux ans de travail, le rapport se veut un outil d’aide à la décision pour les gouvernements et décideurs du continent. Offrant une cartographie détaillée et analytique du secteur énergétique africain, il se penche sur les perspectives d’une intégration énergétique continentale.
Le paradoxe africain
« Les défis énergétiques sont les premiers défis que le continent est appelé à résoudre. Contrairement à la Tunisie, où le taux d’électrification avoisine les 99 %, dans plusieurs pays africains, notamment en Afrique subsaharienne, ce taux ne dépasse pas les 30 % », a déclaré, à cet égard, Anis Jaziri, président du Tabc. Et d’ajouter : « C’est pourquoi la mise en place de corridors énergétiques revêt une importance cruciale, puisqu’ils permettront, grâce à la complémentarité énergétique entre les différentes régions africaines, au continent de réussir sa transformation énergétique et, par ricochet, sa transformation écologique et industrielle ».
Dans sa présentation, Mondher Khanfir, policy advisor et coordinateur scientifique du rapport, a planté le décor en mettant en avant le contexte ayant motivé l’élaboration de cette étude. En effet, l’Afrique, avec ses particularités, présente un paradoxe : avec une population représentant plus de 20 % de la population mondiale, le continent ne consomme que 3,5 % de l’énergie primaire mondiale et ne contribue qu’à 4 % des émissions de CO2. Pis encore, plus de 600 millions d’Africains demeurent aujourd’hui privés d’un accès fiable à l’électricité.
Les alliances pour le développement
Côté offre, le continent recèle pourtant une abondance énergétique considérable. Son potentiel en énergies renouvelables uniquement est estimé à 60 millions de térawattheures (TWh), alors que sa production nette totale d’électricité n’excède pas 908 TWh, dont 204 TWh d’électricité verte. Si ce paradoxe alimente, selon les auteurs de l’étude, certaines tensions géopolitiques, il appelle surtout à la formation d’alliances capables de transformer ce potentiel en un véritable levier de développement.
L’objectif : résorber le déficit structurel et faire de l’énergie un moteur de transformation industrielle à l’échelle continentale. Les auteurs se sont ainsi penchés sur les perspectives qu’offrent les corridors énergétiques autour de trois ambitions majeures, à savoir la transition écologique, et ce, en replaçant l’énergie au cœur d’un modèle de croissance bas carbone, productif et inclusif ; l’intégration régionale par la mutualisation des ressources, des marchés et des infrastructures ; et l’amélioration de la performance économique en articulant énergie, transport, industrie et commerce interafricain.
L’étude met, donc, en lumière le rôle que peuvent jouer les corridors énergétiques en tant qu’artères de développement pour l’Afrique. L’énergie étant un outil de création de valeur, d’emplois et de chaînes industrielles intégrées, cette approche replace l’énergie au cœur de la souveraineté productive du continent. « En priorisant ses propres besoins en énergies plutôt que l’exportation, l’Afrique change de paradigme et fait de ces corridors non pas de simples infrastructures, mais les artères vitales d’un continent interconnecté », estiment les auteurs du rapport.
Une complémentarité porteuse d’opportunités
Outre les profils pays, le rapport présente trois expériences pionnières d’interconnexion énergétique en cours, susceptibles d’inspirer toutes les régions du continent. Il s’agit du projet « ElMed » reliant la Tunisie à l’Europe via l’Italie ; du projet d’interconnexion entre l’Egypte et l’Arabie saoudite ; et de la ligne de transmission Clsg reliant la Côte d’Ivoire, le Liberia, la Sierra Leone et la Guinée.
Par ailleurs, l’ouvrage repose sur une taxonomie énergétique qui regroupe les pays africains en sous-catégories selon divers critères, tels que par exemple le prix de l’énergie, l’intensité énergétique, etc.
Cette taxonomie permet de faire correspondre, au moindre coût et avec le moindre impact, l’offre et la demande régionales, en concevant des corridors interconnectés pour un mix énergétique propre et optimal. Elle constitue une base analytique pour penser la complémentarité régionale, attirer les financements et les investissements et stimuler la coopération.
Plusieurs critères ont été retenus, dans ce cadre, pour élaborer cette cartographie énergétique, à savoir l’intensité énergétique (qui mesure la consommation d’énergie par unité de PIB), la part des énergies renouvelables dans la consommation finale, le taux d’accès à l’électricité, la structure du mix énergétique et le prix du kilowattheure pour les entreprises.
Cinq profils régionaux ont été identifiés, en conséquence. Parmi les conclusions et recommandations du rapport, les auteurs estiment que l’Afrique du Nord peut devenir un hub énergétique pour l’Europe, tandis que l’Afrique centrale doit capitaliser sur son potentiel hydroélectrique.
Les opportunités de complémentarité et de coopération via des corridors énergétiques interconnectés apparaissent prometteuses. En fonction des profils régionaux, elles peuvent contribuer à désenclaver énergétiquement certains pays, soutenir la décarbonation d’autres, ou encore favoriser l’exportation et les échanges d’énergies vertes.