Il y a Soixante-cinq ans : Les premiers Casques bleus tunisiens de l’Histoire (4e et dernière partie)
Arrivés au Katanga, nous avons été chargés de la garde et de la protection du camp des réfugiés Balubakat , c’est-à-dire les Balubas du Katanga, une tribu opposée à Tshombé. Nous avons relevé un bataillon suédois devant rentrer en Suède.
Venus se mettre sous la protection de l’ONU, ces réfugiés « Balubakat » ont été installés dans ce qui fut l’un des plus beaux parcs d’Afrique.
Leur nombre avait atteint, à un certain moment, quatre-vingt mille réfugiés qu’il fallait surveiller et auxquels il fallait, de temps en temps, fournir une aide alimentaire substantielle.
D’autres contingents se trouvaient au Katanga et le plus important en nombre était le contingent indien avec toute une brigade de Gurkhas qui avaient la réputation d’être des guerriers redoutables.
Le commandement des Forces de l’Onuc au Katanga était assuré par le général de division indien Prem Chand et le chef des opérations civiles était l’Argentin José Rolz Bennet qui sera, trois ans plus tard, nommé secrétaire général adjoint de l’ONU.
Parlant bien le français et appréciant l’excellent travail que nous accomplissions et les bons résultats que nous avons obtenus, surtout relatifs à la recherche et à l’arrestation des mercenaires, il était devenu notre ami et venait souvent nous rendre visite d’une manière informelle.
Notre appartenance à l’Afrique et notre connaissance de la langue française nous ont permis d’avoir de très bons rapports avec la population locale, les Congolais (Katangais) et avec les Européens, essentiellement les Belges.
Nous avons été très vite adoptés par tous : les autochtones qui avaient affaire à des Africains comme eux, et les Européens qui, grâce à la langue, avaient compris que nous n’étions là que pour maintenir la paix et la sécurité.
Nous leur avons expliqué que l’Onuc au Katanga n’était pas partie prenante de la situation conjoncturelle que tout le monde vivait et subissait et que nous les protégions au même titre que tous ceux qui résident dans cette ville.
Nos rapports avec les autorités de la province érigée, à ce moment- là en Etat, étaient excellents y compris avec Moïse Tshombe et les membres de son gouvernement.
Il venait d’ailleurs chez nous lorsque nous l’invitions à l’occasion de nos fêtes (politiques ou religieuses) et il nous a plusieurs fois invités chez lui à la «Présidence».
MM. Munongo et Kimba, les ministres de l’Intérieur et des Affaires étrangères, les hommes forts du régime et très influents par ailleurs, n’étaient pas inconnus du contingent tunisien.
Les troupes des Nations unies au Katanga étaient essentiellement implantées à Elisabethville, la capitale du Katanga, ainsi qu’à Kamina, une ville située au nord à près de cinq cents kilomètres.
En octobre–novembre 1962, des actes de provocation et des incidents avec des policiers et des civils katangais étaient signalés, obligeant, parfois, nos hommes à tirer en l’air pour se dégager ou pour les dissuader.
Vers la fin du mois de décembre, la gendarmerie katangaise, l’armée en fait encadrée surtout par des mercenaires, harcelait de nuit les positions des forces de l’ONU en tirant à coups de mortiers et de canons de faible calibre.
Les tirs n’étant pas précis, chaque contingent essayait de s’informer auprès de ses voisins et chacun s’inquiétait pour les autres. Les tirs cessaient dès le lever du jour.
Afin de permettre à ses troupes de «s’aérer» en élargissant leur zone d’action délimitée par le périmètre de la ville et cela, en bousculant un peu les gendarmes katangais, le général Prem Chand, le commandant des Forces des Nations unies au Katanga, conformément aux instructions de New York, donna l’ordre à ses troupes de quitter leur cantonnement et de chercher le contact avec la gendarmerie katangaise.
Celle-ci, reculant au fur et à mesure que les Casques bleus avançaient, s’est en fin de compte évaporée, sans combattre sérieusement et sans avoir opposé une résistance sérieuse. C’est ainsi que prit fin le régime de Tshombe et le Katanga redevint une province congolaise.
Notre mission deviendra plus importante, plus grave, très délicate et plus accentuée après le mois de décembre 1962, lors de l’effondrement du régime de Tshombe et jusqu’à notre retour définitif en Tunisie en mars 1963.
En effet, obligés de suppléer l’autorité qui s’est évaporée, nous avons assumé les tâches imparties auparavant à la police et il fallait :
1- assurer, la sécurité de toute la population dans cette ville de plus de cent mille habitants;
2- les personnes et les biens ;
3- éviter les pillages et les règlements de comptes dans une période d’incertitude, d’anarchie et d’absence totale de l’autorité légale ;
4- et surtout protéger les minorités de tout acte de vengeance.
Cette mission, loin d’être aisée pour des militaires habitués aux exercices de combat et aux manœuvres, a été remarquablement remplie par nos hommes qui ont mérité, à la fin de notre séjour, les félicitations, les remerciements de l’Onuc, ainsi que la reconnaissance des Noirs et des Blancs, celle de la population congolaise ( katangaise) ainsi que celle de tous les Européens qui étaient fort nombreux à Elisabethville.
La connaissance de la langue française était pour nous d’un grand avantage et d’une importance capitale par rapport aux autres contingents.
Ayant fait partie de la Brigade, durant une courte période de cinq mois ainsi que du 14e bataillon au Katanga durant tout le séjour (quatorze mois), les missions que nous avons reçues ici et là étaient totalement différentes et je voudrais mentionner le travail remarquable effectué par tout le personnel officiers, sous-officiers et hommes du rang dans ces situations très délicates et dans cette tâche tout à fait particulière que nous étions tenus d’assumer.
Je citerai les noms de mes camarades officiers qui, durant le séjour katangais, ont été au four et au moulin : les lieutenants Habib Ammar, Boubaker Benkraiem, Rafik Sarraj, Bechir Chehidi, Mustapha Hachicha, Taoufik Boudeya, Ahmed Ayache, Salah Bensaad et Tahar Boubaker, les sous-lieutenants Ghazi Skander, Belkhodja, Larbi Farouk, Hedi Chamli, Mekki Louiz, Mohsen Mamoughli, Habib Karray et Fray sans oublier les médecins capitaines appelés qui se sont relayés pour veiller à la bonne santé de nos troupes , les Docteurs Safraoui, Ben Chaabane et Hachicha.
Quels souvenirs gardons- nous de notre séjour au Katanga ?
D’abord, le souvenir d’une région paradisiaque gâtée par la nature pour sa végétation, son climat et ses richesses.
Ensuite, tout simplement ces témoignages de reconnaissance du rédacteur en chef du quotidien l’Echo du Katanga qui s’est fait le porte-parole de tous les habitants d’Elisabethville, sans distinction de race, d’origine ou de couleur.
Dans sa parution du 26 février 1963, il écrivait dans un flash en première page :
« Le bataillon tunisien nous quitte : Hier soir, le colonel Remiza, commandant le bataillon tunisien, recevait le tout E’ville, à l’occasion du prochain départ.
Les E’villois de toutes les factions (jadis opposées) étaient présents. Tous regrettent le départ des Tunisiens. Ils ont accompli ces derniers temps un travail de police très efficace et qui a été l’un des éléments de base du rétablissement rapide des conditions normales de vie dans notre ville. C’est de tout cœur que nous leur disons: au revoir et bon voyage.
Si jamais un bataillon tunisien devait revenir au Congo, nous souhaitons qu’encore une fois, il soit commandé par un homme de la trempe du Colonel Remiza ».
Le même journal écrivit dans sa parution du 5 mars 1963 :
«Le bataillon tunisien est remplacé, dans le service d’ordre à Elisabethville, par des éléments éthiopiens. Ceux-ci en effet montent déjà la garde depuis quelque temps à la poste centrale d’Elisabethville et aux principaux points stratégiques.
Le départ des Tunisiens est unanimement regretté tant par la population européenne qu’africaine d’Elisabethville.
Les Tunisiens, en effet, par leur correction, leur amabilité et leur honnêteté, jouissaient d’un très grand prestige auprès des populations katangaises et ce, en dépit des évènements tragiques qui ont opposé, l’année dernière, les soldats des Nations unies aux gendarmes katangais».
Telles sont les impressions que l’on recueille à l’annonce du départ des Tunisiens dans tous les milieux d’Elisabethville.
Ce vibrant témoignage du journaliste congolais qui illustre le succès de notre mission au Katanga et au Congo était, pour nous tous, la meilleure récompense pour le travail accompli.
Le 14e Bataillon a été rapatrié en totalité au mois de mars 1963 et le dernier avion a atterri à Tunis-Carthage le 8 du même mois.
Ces souvenirs, vieux de soixante deux ans, sont ressentis par tous ceux qui les ont vécus comme datant d’hier. Une pieuse pensée à tous nos morts et en particulier au premier martyr de la promotion, notre camarade, le lieutenant Khelifa Dimassi, ainsi qu’au sergent-chef Belkhiria.
C’est avec un immense plaisir et une grande fierté que nous constatons aujourd’hui, que le soldat tunisien est, depuis cette épopée qui a marqué tous ceux qui l’ont vécue, présent aux quatre coins du globe, là où la communauté internationale l’appelle, pour le maintien de la paix et de la sécurité.
En effet, que ce soit au Sahara ex-espagnol, au Cambodge, au Rwanda, au Congo ou ailleurs, nos braves et vaillants soldats qui, malgré toutes les difficultés dues au terrain, au climat, au danger, et indépendamment des sacrifices consentis et des pertes subies, ont été admirables de sérieux, d’honnêteté et de compétence.
Ils ont levé haut les couleurs onusiennes et tunisiennes, à la satisfaction de l’ONU et surtout des populations protégées ou secourues.
C’est la raison pour laquelle nous, leurs anciens dans cette noble mission, en leur rendant l’hommage qu’ils méritent, nous leur faisons part de notre admiration et de notre fierté pour les résultats obtenus et de nos encouragements pour qu’ils perpétuent les grandes qualités du soldat tunisien.
B.B.K.
(*) Ancien sous-chef d’état-major de l’Armée de terre, ancien Casque bleu au Congo et au Katanga, ancien gouverneur