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Culture

« Cotton Queen » de Suzannah Merghani : Une ode à la femme qui rêve et qui résiste

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  • 21 décembre 20:00
  • 5 min de lecture
« Cotton Queen » de Suzannah Merghani : Une ode à la femme qui rêve et qui résiste

Une histoire douce-amère de résilience féminine, premier long métrage de la réalisatrice soudano-russe en compétition films de fiction aux JCC.

La Presse — Depuis des années, le Soudan est en proie à des guerres civiles doublées d’une famine qui ravage la plupart des régions.

Evoquer ce pays en détresse nous amène souvent à penser à ses zones d’ombres politiques et humanitaires.

Or, la réalisatrice soudano-russe Suzannah Mirghani a choisi de nous le présenter autrement, à travers une histoire douce-amère de résilience féminine. « Cotton Queen » est son premier long métrage dont elle a écrit elle-même le scénario. Il a été en compétition dans la catégorie des films de fiction aux JCC.

Pour « Cotton Queen », Suzannah Mirghani est partie de son court métrage « Al-Sit », sorti en 2020, et qui a récolté plus de 40 prix et nominations à l’échelle mondiale.

Au synopsis, Nafisa, une adolescente de 15 ans, a grandi dans un village vivant de la culture du coton.

Sa grand-mère, la matriarche surnommée « Al-Sit », cherche à la marier par force, en dépit de son amour pour Bibaker.

Nafisa doit alors faire des choix déterminants, déchirée entre le respect des traditions ancestrales et ses rêves d’émancipation.

Pour « Cotton Queen », la cinéaste a repris le même cadre avec toujours la même protagoniste incarnée de nouveau par Mihad Murtada.

Le film est entamé par des scènes de culture de coton, empreintes de joie et de bonne humeur collective. En plus de son impact économique, cette plante est symbole de pureté.

En effet, les filles qui la cueillent doivent veiller au respect des mœurs. Autrement, la récolte sera «  contaminée  » et ne saura trouver d’acheteur. 

Ces adolescentes débordantes de vie et au regard encore innocent sont donc confrontées à un long fardeau de  traditions archaïques et figées.

Elles ont subi une excision dès leur jeune âge et leur ambition se résume à guetter un époux. 

Dans ce cadre rural contraignant, Nafisa a su se démarquer par une personnalité qui allie à la fois force de caractère et attitudes rêveuses et sentimentales.

Elle est poète, éprise d’amour pour le jeune Bibaker et souhaite connaître la vie au-delà des limites de son village.

« Al-Sit », surnommée « Cotton Queen », s’impose encore dans ce film, toujours en figure d’autorité.

Elle s’est forgé une image de militante contre la colonisation anglaise, magnifiée par des exagérations épiques, presque mythiques.

Dans son entourage, elle est admirée, vénérée, presque placée sur un piédestal. Difficile de s’opposer à elle et de la contrarier. Nadir, jeune homme d’affaires installé à l’étranger, débarque avec deux projets porteurs de promesses.

Il souhaite remplacer le coton cultivé dans les champs par une nouvelle souche importée génétiquement modifiée qui est beaucoup plus productive, sans donner toutefois de semences.

La marge des gains sera ainsi en hausse, mais la forte dépendance aux graines qu’il faudrait importer à chaque saison fait la réticence des villageois.

De plus, Nadir souhaite chercher une épouse parmi les jeunes filles du village et la compétition atteint alors son comble.

Nafisa semble être la candidate la plus favorisée, en dépit de son opposition à ses avances. La jeune fille et son village sont ainsi placés dans un carrefour où ils sont obligés de faire un choix décisif.

Faut-il opter pour le projet moderne et grandiose de l’homme d’affaires au rester fidèles à leur coton biologiquement pur ? Nafisa le prendrait-elle pour mari ou saura-t-elle défendre son amour pour Bibaker ?

Le film est ainsi une histoire de résilience féministe dont l’impact transcende l’intime pour toucher des enjeux plus larges.

Le coton est en effet associé à un long passé d’exploitation et de colonialisme. Il devient ici synonyme de l’enracinement, de l’attachement à une terre mère qu’il faudrait protéger.

Dans quelle mesure peut-on s’ouvrir aux vents de changement tout en sachant se préserver ? Dans ce tiraillement entre tradition et modernité, parmi les fondements et des valeurs qui nous définissent, que doit-on réviser pour pouvoir progresser ?

En drame féministe, « Cotton Queen » explore de nombreuses thématiques sensibles dans la société soudanaise particulièrement conservatrice, dont le rapport au corps à travers l’exploration de la féminité et la pratique de l’excision.

Il passe en revue des traditions et des croyances rurales, ce qui souligne sa dimension anthropologique.

Malgré les réflexions profondes qu’il soulève, le film est loin d’être sombre. Il est porté par une atmosphère légère et lyrique avec une profusion de couleurs, des chants et des scènes teintées d’humour.

Ce long métrage a déjà été sélectionné dans de nombreux festivals cinématographiques prestigieux, dont le Venice Film Festival, le Chicago International Film Festival et le Doha Film Festival.

Lors de la projection à la salle du Théâtre de l’Opéra à la Cité de la culture de Tunis, la réalisatrice est revenue sur la situation difficile de son pays.

Elle a raconté que le tournage a dû être fait en Egypte où ils ont construit le village au cœur des événements du film.

Les acteurs n’ont pas pu se déplacer pour assister aux projections comme certains d’entre eux sont aujourd’hui réfugiés, d’autres retenus au Soudan à cause de la guerre.

La cinéaste continuera pour sa part à persévérer, à porter la voix des femmes de son pays et leurs rêves de liberté et d’autonomie.

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Auteur

Amal BOU OUNI