Propos recueillis par Salem Trabelsi et Amal BOU OUNI
Acteur au talent reconnu et metteur en scène passionné de théâtre, Ghanem Zrelli enchaîne les succès en Tunisie comme à l’étranger. Il est à l’affiche de son nouveau film «Exil», qui parcourt les festivals internationaux avant sa projection prochaine en Tunisie. Ce rôle confirme encore sa polyvalence et sa maîtrise à l’écran. Entretien.
Commençons d’abord par votre actualité. Vous jouez dans le film «Exil» de Mehdi Hemili. Comment avez-vous abordé ce personnage assez spécial ?
Tout le film est en fait très spécial. Mehdi tente toujours d’aller jusqu’au bout dans la fiction. Il a cette volonté d’aller vers ce qui est distancié, vers l’inattendu, le fantastique, bien au-delà du réel. C’est le genre de rôle tentant pour tout comédien. En Tunisie, nous avons ce problème de manque d’imagination, dans la vie de tous les jours comme sur nos écrans. Notre imagination est restreinte. On se limite souvent à l’actualité.
On fait des films basés sur un fait divers. Je ne suis pas contre ce genre de cinéma, qui doit exister et qui connaît du succès. Mais quand on regarde les expériences des réalisateurs en Tunisie, qu’ils soient jeunes ou anciens, c’est toujours un cinéma trop attaché au réel, alors que le cinéma est logiquement lié à la fiction.
On ne peut pas traiter un sujet concret sans y inclure une part de fiction. Pourquoi donc ne pas prendre une marge qui nous permet de remettre en question ce réel et de pousser le spectateur à se poser de vraies questions ? Cette logique nous amène à un résultat très objectif. C’est ça, le rôle de la fiction. Or, quand il s’agit d’un événement vécu encore tout frais dans notre mémoire, quelle serait la différence avec le travail d’un journaliste ? Il faut toujours créer un plus. On doit favoriser l’imaginaire au cinéma.
Le personnage de Mohammed est basé sur la métamorphose: le rapport de l’homme avec la matière, comment se transformer d’une personne en chair et en os en acier. Ce n’est pas du tout facile de jouer ce personnage mécanique. C’est la première fois qu’un thème pareil est présenté au cinéma tunisien.
Je pense que le film a beaucoup de mérite. Au Caire, le public a été visiblement ému. Ils sont restés jusqu’à la fin, bien que le film soit relativement long, deux heures et quart. Je suis très satisfait de cette réaction. Mehdi a cette capacité de travailler sur les détails, de les rendre captivants, ce qui fait de lui un réalisateur exceptionnel.
Vous jouez également dans un feuilleton télévisé mis en scène par Mehdi Hemili. Comment décririez-vous votre relation ?
Nous collaborons ensemble depuis 2012. Il m’a contacté pour le projet «Thala Mon Amour». À l’époque, nous avions tourné dans des conditions très difficiles en raison des problèmes de production.
Malgré cela, nous avons défendu ce projet jusqu’au bout. Au-delà de notre relation personnelle, Mehdi a une véritable capacité artistique. Il est très motivé et plein d’énergie pour ses futurs projets.
A votre avis, qu’est-ce qui a changé dans le métier d’acteur entre avant et aujourd’hui ?
Depuis mes débuts, j’ai eu la chance de côtoyer de grands noms qui m’ont énormément appris. Le premier plateau de tournage que j’ai vu était celui de Nacer Khemir. J’étais encore très jeune à l’époque. Nous sommes tous les deux originaires de Korba. Nous avons eu de longues discussions qui ont été particulièrement enrichissantes pour moi.
J’étais passionné par le théâtre russe. J’ai dit à Nacer Khemir que je voulais faire mes études à Saint-Pétersbourg. Il m’a répondu : «Tu veux devenir un acteur russe ?». Il m’a expliqué que l’essentiel était d’apprendre les bases techniques du cinéma, que je pourrais ensuite utiliser dans n’importe quel pays. À chaque nouveau pas, chaque nouvelle expérience, il me répétait que j’étais trop têtu.
Finalement, le jour où j’ai décidé d’embrasser une carrière professionnelle d’acteur, je me suis dit que je préférais le cinéma. Au théâtre, je suis surtout metteur en scène. Cette expérience m’aide aussi devant la caméra comme il faut penser à de nombreux détails au-delà du travail intellectuel que demande un rôle et garder tous les éléments en tête.
Ce n’est pas évident de mener une carrière d’acteur en Tunisie. C’est consacrer toute sa vie à ce parcours, alors que d’autres sont propulsés au premier rang sans réel mérite. Beaucoup s’improvisent acteurs. Ce sont mes expériences qui m’ont forgé et m’ont permis d’atteindre ce niveau de maîtrise technique. On apprend en multipliant les projets. Or, en Tunisie, nous n’avons pas le luxe de varier les expériences, car le nombre de productions est limité.
Certains acteurs n’atteignent un niveau de maturité satisfaisant que vers l’âge de 50 ans. Il est rare de voir de jeunes comédiens maîtriser réellement le jeu. En Tunisie, on n’arrive toujours pas à considérer que c’est un véritable métier. Nous n’avons pas un vrai marché. Beaucoup d’acteurs ne tournent qu’un seul feuilleton par an, ou un feuilleton et un film pour les plus chanceux. Pour ce qui me concerne, ce sont surtout les tournages à l’étranger qui me permettent de vivre de ce métier.
En Tunisie, même après une vingtaine d’années de carrière, on peut obtenir une reconnaissance morale, mais on ne peut jamais être sûr de continuer à être sollicité pour de nouveaux rôles. Je pense que le problème majeur reste le manque de productions. Quant aux conditions de tournage, nous n’avons même pas une loge pour nous reposer. Quand je le demande, c’est considéré comme un caprice d’acteur, alors que ceux qui ont conçu ce métier ont clairement défini des besoins obligatoires pour l’artiste. Il n’a pas droit à l’erreur devant la caméra, il ne doit pas paraître fatigué…
Et le spectateur, a-t-il changé ? Son ouverture sur le cinéma international à travers les plateformes est-elle bénéfique ?
Le public tunisien est intelligent. Aujourd’hui, les plateformes proposent des séries avec une véritable écriture cinématographique.
Le spectateur ne les regarde pas avec le même œil que celui avec lequel il évalue un produit tunisien. Il les aborde avec beaucoup d’émotion, parce qu’il espère voir des œuvres tunisiennes d’un niveau proche. Nous devons également hausser en permanence le niveau artistique pour égaler, voire dépasser, les productions étrangères.
Pour un spectateur, c’est un besoin vital de pouvoir s’identifier à un personnage de fiction. Depuis toujours, il souhaite être impliqué lorsqu’il regarde une pièce de théâtre et vivre ce catharsis. Nous sommes malheureusement privés de ce genre d’expériences, qui ne sont possibles que quelques fois dans une vie.
En Egypte, il y a un nombre important de films produits chaque année, ce qui permet au spectateur de trouver facilement une œuvre qui lui ressemble.
Chez nous, les productions ne nous ressemblent pas assez, et nous n’atteignons jamais la satiété. On parle beaucoup de concurrence, notamment durant le mois de Ramadan. Pourtant, je pense que si un spectateur regarde un feuilleton tunisien et qu’il l’apprécie, cela lui donnera envie de découvrir les autres. Nous ne sommes pas concurrents, mais plutôt complémentaires. Nous devons travailler ensemble pour avancer.