Les Journées cinématographiques de Carthage (JCC) se sont achevées samedi soir au Théâtre de l’Opéra de Tunis avec un palmarès largement dominé par les films tunisiens et par les œuvres de cinéastes femmes, au terme d’une 36ᵉ édition dense et marquée par la diversité des écritures cinématographiques.
La cérémonie de clôture, initialement programmée plus tôt dans la soirée, s’est ouverte avec un décalage d’environ deux heures, dans un contexte marqué par des conditions météorologiques pluviales.
À l’issue de l’annonce du palmarès, le jury n’a pas accompagné ses choix de l’éclairage critique qui précède habituellement la remise des distinctions.
■ Un palmarès qui consacre la Tunisie et les voix féminines
Le Tanit d’or du long métrage de fiction a été attribué à The Stories de l’Égyptien Abu Bakr Shawky, un film inspiré de l’histoire de ses parents, qui traverse plusieurs décennies de l’histoire contemporaine de l’Égypte à travers une relation intime et épistolaire, entre mémoire individuelle et bouleversements collectifs. L’Égypte avait également remporté le Grand Prix des JCC en 2021 avec Feathers d’Omar El Zohairy, lauréat du Tanit d’or et de cinq autres prix.
Le Tanit d’argent est revenu à My Father’s Shadow du Nigérian Akinola Davies Jr, également lauréat du Prix Tahar Chériaa de la meilleure première œuvre. Le film suit un père et ses deux fils dans le Lagos des années 1990, explorant la filiation, l’absence et la transmission dans un environnement urbain instable.
Le Tanit de bronze a distingué Sink de la réalisatrice jordanienne Zain Duraie, drame familial centré sur la santé mentale et les non-dits.
Le film soudanais Cotton Queen de la réalisatrice Suzannah Mirghani a remporté le Prix TV5 Monde de la première œuvre, décerné dans le cadre de la compétition officielle. Présenté comme une fable sociale à hauteur d’enfant, le film suit Nafisa, une jeune fille soudanaise qui se rêve reine du coton dans un milieu rural traversé par les hiérarchies sociales, les héritages coloniaux et les tensions entre traditions et émancipation.
Promised Sky, fiction de la réalisatrice Erige Sehiri, a été distinguée avec une mention spéciale attribuée à l’actrice Debora Lobe Naney, saluée pour une performance portée par la retenue et la justesse. Présenté en première à Cannes, le film suit l’histoire d’une femme confrontée à l’exil et aux fractures familiales, dans une quête de résilience et de lien.
La réalisatrice Amel Guellaty s’est dite à l’agence TAP « très honorée » pour son film, recevant le prix de la critique, le prix du scénario et le prix du public, confirmant l’accueil favorable d’une œuvre au parcours international déjà affirmé.
Par ailleurs, le film tunisien The Voice of Hind Rajab de Kaouther Ben Hania a remporté le prix d’honneur du jury. Récemment présélectionné aux Oscars, ce docufiction a été cité parmi les œuvres marquantes de l’année.
La Palestine a obtenu une distinction lors de cette édition, inscrivant sa présence dans un palmarès dominé par la diversité des regards et des écritures.
■ Documentaires: Récits du réel et mémoires en mouvement
Le Tanit d’or du long métrage documentaire a été attribué à Liti Liti (The Attachment) du réalisateur sénégalais Mamadou Khouma Gueye. Le film explore les conséquences humaines et sociales des grands projets d’infrastructure à Dakar, à travers la construction du Train express régional (TER). Tourné sur plusieurs années, il suit notamment Sokhna Ndiaye, la mère du réalisateur, contrainte de quitter la maison qu’elle occupait depuis quatre décennies dans le quartier de Guinaw-Rails, offrant un regard intime sur le déracinement, la mémoire et les transformations urbaines.
Dans la compétition documentaire, la Tunisie s’est distinguée avec plusieurs récompenses, portant à neuf le nombre total de prix tunisiens dans la compétition officielle. Le documentariste Anis Lassoued a été primé de la mention spéciale pour Notre semence, un film ancré dans le quotidien de familles tunisiennes, interrogeant la transmission, l’identité et la relation entre générations. Recevant son prix, le réalisateur a dédié cette distinction aux familles ayant accueilli le tournage ainsi qu’aux enfants ayant fait confiance à la caméra.
■ Prix parallèles
En marge de la compétition officielle, les prix parallèles, dévoilés jeudi et vendredi, ont distingué plusieurs œuvres et projets engagés. Le prix du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) a été attribué au film Where the Wind Comes From de la réalisatrice tunisienne Amel Guellaty, saluant une œuvre engagée sur la liberté d’expression et les réalités sociales en Tunisie. Le prix Lina Ben Mhenni a été décerné au film Irkalla, le rêve de Gilgamesh du réalisateur irakien Hussein Raad Zuwayr, récompensant un film engagé sur les droits humains et la liberté d’expression.
Dans le cadre de Carthage Pro, les ateliers Chabaka et Takmil ont récompensé des projets en développement et en postproduction, confirmant le rôle de ces plateformes comme espaces de soutien à la création et à la coproduction dans les cinémas arabe et africain.
La programmation internationale (hors compétition) a également mis en lumière des œuvres récentes, dont Father Mother Sister Brother de Jim Jarmusch (États-Unis), un film attendu en salles, dont la sortie est annoncée pour le 24 décembre.
■ « Une édition marquante pour le cinéma arabe et africain »
Lors de la cérémonie de clôture, le directeur de la 36ᵉ édition des JCC (13-20 décembre), Tarek Ben Chaabane, a déclaré, en présence de la ministre des Affaires culturelles Amina Srarfi, que cette édition a marqué « une étape importante » dans l’histoire du festival, tant par la richesse de sa programmation que par l’ampleur de la participation arabe et africaine.
Plus de 200 films issus de 44 pays ont été projetés, a-t-il précisé, soulignant que les différentes sections ont reflété « le pouls des sociétés arabes et africaines » et constitué un espace d’échange d’idées et de visions esthétiques autour d’un cinéma porteur de sens.
Il a enfin annoncé que la prochaine édition des Journées cinématographiques de Carthage coïncidera avec le 60ᵉ anniversaire de la création du festival, présenté comme une occasion de célébrer le cinéma arabe et africain et de renforcer le dialogue entre les générations de cinéastes.
L’édition s’est refermée sur un palmarès reflétant la diversité des écritures cinématographiques arabes et africaines, à l’heure où les Journées cinématographiques de Carthage se projettent vers leur 60ᵉ anniversaire.
Palmarès de la compétition officielle des 36ᵉ JCC
■ Longs métrages de fiction
Tanit d’or : The Stories, Abu Bakr Shawky (Égypte)
Tanit d’argent : My Father’s Shadow, Akinola Davies Jr (Nigéria)
Tanit de bronze : Sink, Zain Duraie (Jordanie)
Prix d’honneur du jury : The Voice of Hind Rajab, Kaouther Ben Hania (Tunisie)
Prix du public : Where the Wind Comes From, Amel Guellaty (Tunisie)
Prix du meilleur scénario : Amel Guellaty, Where the Wind Comes From (Tunisie)
Meilleure interprétation féminine : Saja Kilani, The Voice of Hind Rajab (Tunisie)
Mention spéciale : L’actrice Debora Lobe Naney, Promised Sky (Tunisie)
Meilleure interprétation masculine : Nawwaf Aldaferi, Hijra (Arabie saoudite)
Mention spéciale : L’acteur Hussein Raad Zuwayr, Irkalla, le rêve de Gilgamesh (Irak)
Prix du meilleur décor : Assem Ali, My Father’s Scent (Égypte)
Prix du meilleur montage : Guillaume Talvas, Diya (Tchad)
Prix de la meilleure image : Miguel Ioann Littin Menz, Hijra (Arabie saoudite)
Prix de la meilleure musique : Afrotronix, Diya (Tchad)
■ Longs métrages documentaires
Tanit d’or : Liti Liti, Mamadou Khouma Gueye (Sénégal)
Tanit d’argent : The Lions by the River Tigris, Zaradasht Ahmed (Irak)
Tanit de bronze : On the Hill, Belhassen Handous (Tunisie)
Mention spéciale : Notre Semence, Anis Lassoued (Tunisie)
■ Courts métrages (fictions et documentaires)
Tanit d’or : 32 B, Mohamed Taher (Égypte)
Tanit d’argent : Coyotes, Said Zagha (Palestine)
Tanit de bronze : She’s Swimming, Liliane Rahal (Liban)
Mentions spéciales :
Le Fardeau des ailes, Rami Jarboui (Tunisie)
Café ?, Bamar Kane (Sénégal)
■ Compétition Première œuvre
Prix Tahar Chériaa : My Father’s Shadow, Akinola Davies Jr (Nigéria)
Prix TV5 Monde : Cotton Queen, Suzannah Mirghani (Soudan)
■ Ciné-Promesse
Prix : Pierre-Feuille-Ciseaux, Cherifa Benouda (Tunisie)
Mentions :
Was Never Her Choice, Marguerita Nakhoul (Liban)
Chercher Abbas Saber, Dina Hassan Aboelea (Égypte)