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Société

Artisanat – «Mouchtia de Jebeniana» à Sfax : Un produit à valoriser sous une marque collective

  • 3 novembre 17:50
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Artisanat – «Mouchtia de Jebeniana» à Sfax : Un produit à valoriser sous une marque collective

Hérité de père en fils, l’artisanat tunisien, pourtant bien ancré dans le temps, a du mal à sortir des sentiers battus. Il s’enlise encore dans une crise identitaire et promotionnelle qui le réduit à une simple activité qui évolue dans sa bulle, à peine connue sur son marché local. C’est le cas de la «mouchtia de Jebeniana», à Sfax, une activité ancestrale qui commence à filer un mauvais coton. 

La Presse — Une sorte de longue coiffe traditionnelle tissée en laine, portée au quotidien et lors des cérémonies par les femmes de la région pour couvrir la tête et les épaules, cette «mouchtia de Jebeniana», pourtant classée au patrimoine immatériel, semble avoir perdu sa cote d’antan.

Et si rien n’est fait pour le sauver, ce produit de notoriété uniquement locale risque de disparaître à jamais.

A moins qu’on lui insuffle un sang nouveau, en tendant la perche à ses artisanes qui craignent pour leur gagne-pain. Cela fait des années que leur métier avait besoin d’être revisité. 

L’union fait la force

Et ce n’est que mercredi dernier, lors d’une conférence à Sfax, que l’Office national de l’artisanat (ONA) a répondu à leur appel, en annonçant la mise en œuvre d’un projet de valorisation du tissage manuel de la «mouchtia de Jebeniana» en lui attribuant une marque collective via un mécanisme de propriété intellectuelle, en vertu d’une convention cosignée par l’ONA et l’Ompi (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle), avec l’appui de l’Innorpi.

Qu’est-ce qu’une marque collective ? «Un signe utilisé simultanément par différents acteurs (producteurs et/ou distributeurs) sur des produits.

Cette marque appartient à un collectif, s’agissant d’association, de coopérative ou de  GDA…. D’autant plus qu’elle permet de rassembler l’ensemble de ces acteurs, tout en les dotant d’une notoriété et d’une image commune dans l’esprit du consommateur», définit Wafa Ben Hamida, experte technique nationale. 

L’objectif est d’assurer sa protection et, par ricochet, sa reconnaissance et sa commercialisation tant à l’échelle nationale qu’internationale.

Ce produit dont la notoriété n’a jamais dépassé son espace local aura, désormais, son label d’appellation d’origine géographique, puisant dans la stratégie de l’ONA.

Sa directrice générale, Mme Leila Msellati, s’est montrée coopérative et solidaire, incitant les femmes artisanes de Jebeniana à s’organiser dans des groupements économiques cohérents pour sauver cette activité souvent dans le pétrin.

«Car l’union fait toujours la force, alors qu’une telle structure fédératrice est censée vous donner plus d’opportunité de ventes et d’exposition ici et ailleurs.

Cela pourrait vous faire gagner de l’argent et garantir vos droits à exposer et exporter vos produits», soutient-elle, en s’adressant aux artisanes de la région. 

Et d’ajouter qu’avoir une telle marque collective est de nature à valoriser le produit, préserver ses caractéristiques intrinsèques et améliorer sa compétitivité sur les marchés étrangers.

«L’Office, pour sa part, serait à vos côtés pour vous aider à passer le cap et vous faciliter les circuits de commercialisation.

Cette année, on prévoit tout un programme de formation, de promotion et de communication pour faire connaître davantage la mouchtia de Jebeniana», promet-elle encore.

Autant dire que ces artisanes, au nombre assez réduit, pourraient gagner en notoriété et en exclusivité, étant donné que leur «mouchtia» aux couleurs et formes spécifiques est un tissage manuel propre à elles. Soit une référence artisanale géographique, mais aussi un pilier du développement local. 

Ainsi, toute stratégie de différenciation et de distinction semble de mise, dans le but d’améliorer les pratiques de production et de protéger les petites entreprises, révèle Mme Audrey Aubard, experte internationale auprès de l’Ompi.

Certes, cette démarche s’applique également à la «mouchtia de Jebeniana», dans la mesure où elle pourrait se faire connaître  à une large échelle et fidéliser ses clients effectifs et potentiels.

Témoignage d‘une artisane

Quinquagénaire, Chelbia Sahbi, artisane autochtone, a déclaré avoir appris à tisser la «mouchtia de Jebeniana» depuis son jeune âge.

Un métier qu’elle a hérité de sa mère et de son entourage. «A l’âge de 13 ans, j’ai commencé à travailler dans une usine de textile à Jebeniana, touchant, à l’époque, un salaire mensuel de 5D.

Je n’étais pas aussi assidue et encore moins satisfaite, car j’ai eu une passion exceptionnelle pour la «mouchtia», à laquelle je réserve encore une affection particulière et une prédilection.

D’ailleurs, je n’arrive pas à m’adonner à un autre métier», raconte-t-elle, fière. Cela fait des années qu’elle travaille à domicile, où la fabrication d’une seule pièce peut durer jusqu’à un mois, et dont le prix oscille entre 200 et 800 dinars, en fonction des dimensions et de la conception.

Aujourd’hui, Chelbia est devenue une formatrice au sein de l’unique coopérative spécialisée «Esset Nefissa» dans la région.

«On s’apprête, a priori, à organiser des sessions de formation au profit de cinq jeunes filles dont deux designers diplômées.

Cinq, c’est peu, dans la mesure où nous voulons en faire profiter plusieurs autres femmes, afin de pérenniser ce métier qui compte seulement une vingtaine d’artisanes chevronnées. Soit une activité qui risque de disparaître, si rien n’est fait», livre-t-elle. 

Avec un tel programme parrainé par l’ONA, l’on peut aller plus loin, d’autant que la protection de toute filière artisanale et sa valorisation lui incombe en premier lieu.

Tout comme la «mouchtia de Jebeniana», le projet de valorisation de «l’alfa de Kasserine» est en cours de réalisation.

Une initiative qui consacre le modèle de cluster en matière d’artisanat pour le booster et l’ériger en créneau porteur. 

Auteur

Kamel FERCHICHI